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L’INCESTE et l’INCESTUEL en 7 points pour MIEUX comprendre

Décrypter Par Hervé Resse 14 février 2021

L’INCESTE et l’INCESTUEL en 7 points pour MIEUX comprendre
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En ce début d’année 2021, INCESTE est le seul mot capable de rivaliser au plan médiatique avec tous ceux de la pandémie Covid. On connait moins son cousin : INCESTUEL. Il est pourtant indispensable d’en parler également. Voici pourquoi.

Le 7 janvier 2021, Camille Kouchner, fille de l’ancien ministre Bernard Kouchner, publie aux éditions du Seuil, La familia grande. Accompagné d’un plan média conséquent, ce récit dévoile les relations incestueuses que son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, aurait (le conditionnel s’impose à nous, les faits n’étant pas jugés) imposées au frère de l’auteure. Et sur lesquelles aurait pesé une omerta complice de la part du cercle relationnel huppé de la famille. L’emploi du conditionnel ne signifie nullement qu’on mette symétriquement en doute la parole de madame Kouchner.

Ce livre a déjà de nombreux effets considérables, dont on attend qu’ils impactent la société française. Il ne s’agit pas ici de les recenser ou de les commenter. Sauf pour constater que le thème du livre, l’inceste, permet depuis à la parole de se libérer sur un sujet des plus délicats. Depuis, d’autres accusations apparaissent au grand jour. Sur les réseaux sociaux, des hashtags tels que #metooincest (existe également en français, #metooinceste) désignent tel acteur connu, tel homme politique, telle personnalité médiatique, qu’on accuse nommément. Parfois longtemps après la prescription des faits.

La logique médiatique est telle qu’un fait qu’on accole à une personnalité a cent fois plus d’impact que le même, commis par monsieur Untel. On peut le regretter, mais on ne prête intérêt à ces sujets que s’ils en passent par les cases « people ». On en fait alors « un spectacle » où viennent s’affronter les « pour » et les « contre », à coups de communiqués de presse. Les drames bien réels vécus par des inconnus, en revanche le demeureront le plus souvent.

Évitons ici tout sensationnalisme. L’inceste avéré est toujours un drame, un abus physique et psychologique dévastateur. On parle en revanche fort peu de « l’incestuel », ce dérèglement de mœurs familiales également pathogènes, dont les dégâts sont souvent tout aussi pernicieux, même s’ils ne reposent pas sur des actes clairement identifiés comme viols ou agressions sexuelles. Il nous parait important d’en évoquer aussi l’existence, et d’en décrire quelques indices.

1 Inceste, de quoi parle-t-on ?

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Il parait que les mots ont un sens. Même dans nos sociétés interconnectées en permanence, où tout le monde et chacun peut prendre la parole sur tout sujet. Il le fait bien souvent dans un élan spontané qui se soucie fort peu des nuances, ou de la précision des mots.

Plus regrettable est ce travers lorsqu’il frappe la presse et ses rédacteurs. Car ceux qui diffusent les informations, exactes ou inexactes, contribuent à forger les opinions. Elles ne seront pas toujours éclairées, les contributions quotidiennes aux réseaux sociaux suffisent à le démontrer.

Sur un sujet si grave que l’inceste ou l’incestuel, on peut donc essayer avant tout de préciser ce sens des mots.

L’inceste peut être abordé sous des angles différents : moral, avec ou sans référence aux croyances religieuses. Nous ne les évoquerons pas ici, dès lors qu’elles ne s’imposent pas à tous.

Sont différentes les approches sociétale, psychanalytique, juridique ou pénale (voir point 3). Les critères d’appréciations évoluent également dans le temps, avec les mœurs et les usages. On se limitera dans cet article aux temps qui sont les nôtres.

Pour s’en tenir au seul aspect sexuel, (mais on va voir que l’inceste a d’autres implications), l’inceste désigne d’abord des relations sexuelles entre les membres d’une même famille : ascendants/ descendants, frères/sœurs, cousins/cousines, oncles tantes/nièces neveux.

Cela concerne également les relations imposées par des beaux-parents ou personnes ayant autorité sur le mineur, comme dans l’histoire Duhamel versus Kouchner. Cela est vrai depuis la loi du 8 février 2010.

Sont aussi incestueuses des relations entre deux adultes consentants. On peut les juger amorales, elles ne sont pas pour autant illégales, on le verra plus loin. On verra alors à quel titre elles le sont et deviennent des crimes.

2 Qu’est-ce que l’incestuel ?

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L’incestuel est un concept plus difficile à cerner. Il peut être tout aussi toxique et néfaste pour qui y a été confronté(e). L’incestuel a été mis en évidence par le psychiatre et psychanalyste Paul-Claude Racamier (1924-96). Praticien reconnu, il est aussi l’homme qui a mis en évidence ceux qu’on appelle désormais les « pervers narcissiques ».

« L’incestuel, c’est l’inceste moral » résumait Racamier. « S’il se situe entre l’inceste fantasmé, c’est-à-dire l’œdipe, (celui où s’élabore la construction classique de la personnalité, selon Freud) et l’inceste génitalement accompli, il s’apparente malheureusement plus à ce dernier ».

Pour reprendre une formulation de cliniciens citée sur le site cairn.info : « le fonctionnement incestuel se caractérise avant tout par la confusion ». Confusion des relations attendues entre l’incestuant et l’incestué. Confusion des sentiments. Confusion des repères dans la construction de la personnalité de l’enfant / adolescent / jeune adulte. Confusion conduisant au dérèglement, à la manipulation. Pouvant conduire aux portes de la psychose.

L’incestuel désigne un climat psychique et interactionnel au sein de la famille, qui porte l’empreinte de l’inceste sans qu’il y ait nécessairement de passage à l’acte génital. Ce dernier mot est important : il n’évacue pas la question plus large de la sexualité. Elle y demeure des plus présentes, de façon dirions-nous souterraine, et partant, singulièrement prégnante, impactante. Pour cela peut-être, elle est d’autant plus délicate à identifier. D’autant que pour l’incestuant, ses comportements peuvent simplement signifier « l’amour parental ». Mais amour déstructurant, voire destructeur.

3 Inceste et incestuel, crime ou pas crime ?

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Au plan juridique, sont dites incestueuses les relations entre des personnes dont le code civil interdit le mariage : c’est le cas entre tous les ascendants et descendants, et les alliés dans la même ligne (article 161 du Code civil). Le mariage est aussi interdit entre frère et sœur, entre frères et entre sœurs (article 162 du Code civil). Il l’est également entre l'oncle et la nièce ou le neveu, et entre la tante et le neveu ou la nièce (article 163 du Code civil). Il faut noter que ces interdits du mariage s’appliquent également aux unions avec un beau-parent, ou entre un adoptant et l’adopté.

Dans le droit pénal français, l’inceste n’est pas une infraction spécifique. Il n’est pas réprimé en tant que tel, contrairement aux préconisations législatives européennes. Cela signifie qu’indépendamment de tout jugement moral, la relation sexuelle, sans mariage, entre deux majeurs consentants ne relève pas du tribunal. Et si la relation n’est pas consentie, elle relève alors du viol, de l’atteinte ou agression sexuelle.

Les relations sexuelles incestueuses constituent un crime au sens pénal lorsqu’elles visent un enfant mineur. Dans ce cas elles constituent une circonstance aggravante aux affaires de viols, d’atteintes et d’agressions sexuelles, du fait du lien d’ascendance ou d’autorité avec la victime, mineur de 15 ans et moins.

L’incestuel seul ne constitue pas un crime. Mais il peut constituer un élément fort, envahissant, voire permanent d’une maltraitance psychologique et/ou physique. Parce qu’il n’y a pas relation génitale, donc de lésions éventuellement constatables par un médecin, sa réalité est difficile à prouver. Elle peut même ne pas apparaitre aux yeux des travailleurs sociaux en charge d’apprécier l’existence de maltraitances. L’incestuel demeure souvent, très souvent, trop souvent, souterrain. On pourrait alors en dénier la réalité, n’y voir qu’une « extravagance de psy », ou un nouveau « délire victimaire ». On ne pourrait se tromper davantage.

4 Inceste, incestuel ... la question du tabou !

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Approfondir les dimensions clinique et psychanalytique, bien plus étendues qu’on ne saurait le décrire ici, n’est pas l’objet. On ne veut ici que mettre en évidence des comportements qui manifestement relèvent de ce dysfonctionnement de la cellule familiale. En revanche, qui voudra se confronter en profondeur à ce concept, pourra lire Inceste et Incestuel de Paul-Claude Racamier, l’ouvrage de référence aux éditions Dunod. Comme tout livre traitant de la psychanalyse, il impose une lecture attentive et exigeante, mais il est singulièrement éclairant.

Dans la grande majorité des sociétés humaines, l’inceste est un tabou social et moral : il prohibe au plus haut les relations sexuelles entre membres d’une même famille. On a ajouté parfois « de sexe différents », mais cette précision apparait nettement discutable. Briser cet interdit de l’inceste est considéré comme une transgression majeure, car il est reconnu « comme un préalable nécessaire à la structuration des sociétés humaines ». La question du tabou de l’inceste est (si l’on peut dire) résumé dans la topique freudienne du complexe d’Œdipe.

Ce qui est tabou, interdit, c’est bien l’inceste. Mais quand des médias nationaux titrent « briser le tabou de l’inceste », comme l’ont récemment fait Le Monde ou l’Obs, ils commettent un raccourci qui débouche sur un non-sens aberrant. Ce qui doit être brisé, c’est le tabou (la difficulté) lié au fait d’oser parler de ce problème.  C’est l’omerta, qui s’impose à tous et au premier lieu à la personne victime, qui doit cesser.

L’objet lui-même, l’inceste, doit lui demeurer effectivement dans ce registre du tabou.

Il faut regretter de telles formulations hâtives. À tout le moins elles entretiennent de fâcheuses ambiguïtés.

5 Quelles pratiques ranger sous le mot d’incestuel ?

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L’incestuel est un climat familial où aucune agression sexuelle physique n’est portée à l’enfant ou l’adolescent. Toutefois, la victime peut se retrouver confrontée malgré elle à la sexualité de l’adulte : visionnage de films pornographiques, attitudes ou propos déplacés, exhibition forcée, mise sur la place publique des pratiques sexuelles parentales.

Dès l’enfance, des pratiques telles qu’embrasser ses enfants, ou se faire embrasser par eux sur la bouche ; les soi-disant câlins effectués en situation de nudité, les bains pris en commun, sont de cette nature. À l’adolescence, l’intrusion dans l’intimité du jeune, la volonté de tout savoir sur son rapport personnel à la sexualité, à le contrôler, en connaître les détails, le sont également. Ce qui marque l’incestuel est sa permanence, l’impossibilité de s’en détacher. Ce qui la rend si toxique, c’est qu’elle sait s’abriter derrière le mot « amour ». Sincèrement même, parfois.

Que de telles pratiques doivent être proscrites, ne signifie naturellement pas que la nudité est un problème en soi. C’est son exhibition qui le devient. Ni que les questions autour de la sexualité doivent être proscrites de l’éducation. Bien au contraire. C’est le caractère intrusif, insistant, récurrent de situations où le rapport à l’intime de chacun est dévoyé, qui fonde l’incestuel.

Selon les effets de mode dominants à tel moment précis, les frontières peuvent paraitre difficiles à tracer. La période de libération sexuelle née avec la génération 68 a-t-elle pu encourager de tels dévoiements ? Cela parait assez évident. Surtout lorsqu’on les présentait comme une remise en cause politique de l’idéologie bourgeoise alors dominante. La contester pouvait déboucher sur cette confusion.

C’est d’ailleurs sur de telles bases que la société française connut, au tournant des années 80, la remise en cause par des intellectuels de l’époque du caractère tabou et criminel de la pédophilie.

D’autres pratiques peuvent être questionnées. Que penser par exemple du naturisme ? Sans même évoquer le naturisme libertin entre adultes, en vogue sur des plages connues et identifiées, on peut se demander dans quelle mesure « le naturisme familial » pourrait relever du registre incestuel.

Les adeptes de ces pratiques n’en seront pas d’accord. Ils ne doivent d’ailleurs pas être suspectés à priori de s’en rendre fautifs. On peut toutefois considérer que plus les enfants approchent de l’adolescence, plus leur imposer ce style de vacances devient de nature à forcer leur intimité, et leur identité, dans une période de construction de soi particulièrement sensible.

On sait par ailleurs que certaines revues naturistes des années 60 et 70 étaient en réalité un moyen hypocrite pour diffuser des photos d’enfants nus auprès de clientèles captives. Pédophiles, oui.

6 L’incestuel est-il moins grave que l’inceste ?

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En l’absence de relation sexuelle au sens propre du terme (pénétrations, rapports buccaux génitaux, attouchements), devrait-on considérer que l’incestuel n’est pas « si grave que cela » ? Bien au contraire. La dimension traumatique pour les victimes ne peut être négligée. Et d’autant plus que ses manifestations sont plus difficiles à détecter, à délimiter. Décider, arbitrairement, que les faits n’existent que dans l’imaginaire de qui affirme l’avoir subi serait lui infliger une autre peine.

Car c’est bien d’une relation perverse, construite durablement, entre tous les membres d’une famille, ou entre certains d’entre eux seulement, qu’il est question. Ce qui est pervers, c’est la difficulté pour l’incestué (celui qui subit) d’y échapper.

Ce qui rend les faits difficiles à identifier, c’est que l’incestuant n’a pas forcément conscience du caractère déviant ou pathologique de la relation qu’il a instaurée. Il peut la présenter comme relevant simplement d’une philosophie de vie personnelle, juste « différente ». Ce sera d’autant plus souvent le cas qu’il aura lui-même connu enfant ce type d’environnement et de pratiques. Car comme toute maltraitance physique ou psychologique, bien des adultes reproduisent auprès de leurs enfants ce qu’ils ont eux-mêmes connu.

Cela n’est heureusement pas une loi d’airain. La résilience existe. Elle l’est d’autant plus qu’on a su l’identifier, la repérer, la comprendre, dans sa propre histoire de vie.

Avant cela, qui aura dû souffrir l’incestuel mettra souvent des années à l’identifier comme une des causes, ou la cause principale de son mal-être, de sa souffrance. De sa névrose. Voire pire parfois. L’incestuel est par exemple un terreau identifié par P.C. Racamier comme source de la schizophrénie d’un enfant.

7 Quels symptômes peuvent être des indices de l’incestuel ?

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Nous nous appuyons ici sur une liste proposée par le groupe Epsilon Media, organisme de formation qui aborde ces questions pour les personnels de la santé.

Symptômes chez les enfants victimes d’inceste :

- Désintérêt pour les jeux.

- Difficultés à l’école ou phobie scolaire.

- Énurésie (pipi au lit) ou encoprésie (incontinence fécale) après apprentissage complet de la propreté.

- Troubles du sommeil : cauchemars, terreurs nocturnes.- Méfiance et agressivité envers les adultes.

- Signes dépressifs, anxiété.

- Perte de l’estime de soi, culpabilité, honte.

- Sexualisation en décalage par rapport à l’âge de l’enfant.

Symptômes chez les adolescents et adultes victimes d’inceste :

- Signes dépressifs, anxiété.

- Tentatives de suicides.

- Scarification, brûlures.

- Phobies.

- Conduites à risque : délinquance, marginalité, prostitution, toxicomanie.

- Perte de l’estime de soi.

- Sexualité perturbée voire absence de sexualité ou hyper sexualisation.

- Troubles alimentaires : anorexie, boulimie.

Autant de souffrances qui peuvent avoir pour racines le climat incestuel familial. Mais constater tel ou tel de ces signes ne signifie pas forcément qu’on tient dans l’incestuel la cause du mal-être. Et d’autres symptômes peuvent également exister chez un enfant ou un adolescent incestué.

8 L’incestuel conduit-il à minorer l’inceste ?

Sur des sujets dont on regrette qu’ils soient trop souvent tus et secrets, affirmer des statistiques peut sembler paradoxal. Reste que les victimes d’incestes sont plus souvent des filles, et les coupables très majoritairement des hommes.

Il n’est pas certain qu’il en aille exactement de même dans l’incestuel. P.C. Racamier dans son ouvrage cite nombre de cas où la relation est instaurée par la mère auprès d’un fils. Il allait jusqu’à affirmer que l’incestuel est plus fréquemment un registre des mères. Cela ne doit en aucun cas conduire à conclure que l’incestuel puisse n’être qu’un paravent destiné à banaliser le drame de l’inceste réel et concret, et à diminuer la culpabilité des hommes qui s’y adonnent.

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