8888 Pandas, 7 clés pour ENFIN comprendre les NFT, la Blockchain et le Métavers

4 septembre 2021Trois semaines que je ne me suis pas lavé, rasé, ni même habillé... enfin le minimum syndical. Le regard rivé sur mon écran, mon casque vissé aux oreilles, je n’ai plus aucune idée de l’heure qu’il est, ni de quand date mon dernier repas. Il n’y a plus de musique depuis des plombes et je ne m’en suis même pas rendu compte. J’ai la dégaine d’un ado geek en train de muer.

Sauf que j’ai 37 ans et que je ne suis pas en train de m’abîmer les yeux sur Age of Empires, Fortnite ou Candy Crush. Dans quelques heures, à minuit pile, je vais faire le clic ultime, et lancer mon premier drop* de NFT : 8 888 images numériques de pandas, que j’ai générées par un algorithme à partir de 200 «traits » – des caractéristiques – et d’une myriade de règles d’exclusion sophistiquées. 

8 888 créatures uniques, parfaites, prémices d’un univers foisonnant. Elles ont des chapeaux, des costumes, des accessoires, des arrière-plans...

Je vais les vendre dans la cryptomonnaie Ethereum* sur la blockchain*. Normalement, on devrait se les arracher. Elles sont censées changer ma vie. Enfin, je l’espère... À ce moment précis, je ne suis plus très sûr de rien.

— Julien, tout va bien ?

Toujours la même respiration. C’est quoi ce remake à la Taken ? Va falloir que j’aille le sauver à l’autre bout de la planète ?

Soudain, une torpille sort de mes écouteurs, sa voix surgit du néant. Rapide, hachée, frénétique.— Mec, mec, mec. Faut qu’on parle. J’ai une idée pour toi. Une idée de dingue. Ça va tout changer. Faut qu’on parle, mec. Un truc de ouf, tu le fais et je te fais le dev’. Faut qu’on parle. Ça te dit ? Hein ?Ça te dit ? Faut qu’on fasse un drop de NFT !

Sa voix est carrément partie dans les aigus sur la dernière phrase. Il n’est pas excité, il me parle comme s’il avait deux doigts dans la prise.

— Ça te dit ? Hein ? Ça te dit ?

À l’écouter, c’est du 220 volts. C’est sûr.

— Dis-moi !

J’essaye de le calmer en restant calme. Pieds nus, en maillot, bercé par l’air marin et le soleil, je dois avouer que ce n’est pas très difficile.

— Écoute, oui, carrément. Ça a l’air cool. Sur le principe, je suis partant. J’adore monter des trucs avec toi. Je le sens qui se déten

— Yes !

— Juste, Julien, avant, j’ai deux questions.

— Oui ?

— C’est quoi un drop ? Et ça veut dire quoi NFT ?

Vous voyez ? Je ne vous ai pas menti. À ce stade de l’histoire, je n’ai pas la moindre idée de ce que signifie l’acronyme NFT. Bon... Pour être parfaitement honnête, ces trois lettres me disent vaguement quelque chose. Je crois bien les avoir croisées dans la presse tech spécialisée, mais il n’y a toujours que des acronymes, dans la presse pro. J’avais pris ça pour un protocole quelconque sans forcément aller plus loin.

Au téléphone, Julien sent que j’ai besoin d’un peu plus de détails. Il ne se fait pas prier pour commencer son cours.

D’après ses expressions et quelques idiomatismes, notamment son usage frénétique de l’expression « Yeah it’s dope* », je l’imagine américain, en complet Armani, contemplant l’horizon du haut d’un gratte-ciel new-yorkais entre deux calls (genre Leonardo DiCaprio dans Le Loup de Wall Street) ou bien en mode West Coast, planche de surf sous le bras, vêtu du combo tee-shirt-casquette, la panoplie du startupper de la tech. Quoi qu’il en soit, et vu nos échanges, je ne l’imagine pas autrement qu’en winner. Un vrai winner qui se lève tôt sans aucun cerne, et qui sourit avec les dents magnifiques. Pour lui, tout a l’air facile. Oui, je comprends immédiatement que j’ai affaire à un type intéressant qui maîtrise le sujet des NFT et détient une véritable expertise en marketing digital. De toute évidence, le mec a de la bouteille, il maîtrise les codes du milieu, il en détient les clés. Je ne le connais pas et pourtant je l’écoute religieusement. Je lui expose mes idées et il me pose des questions, me rend coup pour coup. J’adore.

Yeah : j’ai trouvé mon sparring partner.

Pas Yeah : il m’a mis K.-O. en moins de dix messages.

En clair, Y ne croit pas du tout en mon projet et, comme tout vrai businessman, ne prend aucune pincette pour me l’annoncer.

Y : Dude, you’re totally out of the subject !

Sympa. Moi qui voulais de la confrontation, je suis servi ! Je ne me laisse pas démonter.

Gabriel : How ? Tell me !

Y : Profile pic.

Gabriel : What ?

Y : Think profile pic.

Le monde des cryptomonnaies, des NFT et de la blockchain est un océan. Comme dans tout océan, on y trouve des poissons (fishes), ce sont les petits porteurs sans trop d’expérience. Ils débutent, font des erreurs et n’investissent pas énormément d’argent. Ces erreurs permettent à des requins (sharks), eux, plus gros, d’être bien plus rentables, et parfois d’en vivre. Tout ce petit monde échange sur les forums, se donne des tuyaux, des indices, pour gérer son portefeuille au mieux.

Mais on trouve aussi, dans cet océan, des mammifères encore plus gros, qui portent avec eux la sagesse de l’expérience : les baleines (whales). Ils ont souvent été présents dès l’origine des cryptomonnaies, ce qui leur a permis d’acquérir un grand nombre d’actifs, qui ont pris beaucoup de valeur au cours du temps.

Le nombre est parfois si élevé, et leur savoir si reconnu, que cela leur permet d’influencer le cours des projets. Parmi les whales les plus connues, on retrouve des artistes, comme Beeple, Pak ou Fewocious, mais aussi de simples investisseurs comme Pranksy. On raconte qu’il n’aurait investi que 600 dollars à l’origine, pour être au sommet d’un tas d’or de près de 10 millions de dollars aujourd’hui. 

Dans le même genre, on peut noter 0xb1, anonyme, qui peut aussi cacher un groupe d’investisseurs. Parmi les autres whales connues, citons aussi Roham Gharegozlou, le fondateur des CryptoKitties, en 2017, l’une des premières grandes collections de NFT après les CryptoPunks. Il n’existe pas de critères précis pour devenir une baleine, comme un nombre de crypto-actifs à posséder, ou une fortune minimale, mais quoi qu’il en soit, chacune de leurs sorties sur Twitter est scrutée, analysée. Et elles peuvent faire la pluie et le beau temps sur un projet.

S’il y a bien une chose que j’ai retenue de mes cours de philosophie, c’est de toujours commencer par définir les termes. Qu’est-ce qu’une communauté ? Larousse propose la définition suivante : « Ensemble de personnes unies par des liens d’intérêts, des habitudes communes, des opinions ou des caractères communs. »

Notez que la notion de « liens d’intérêts » occupe la première place dans cette définition. Nous y reviendrons... La définition est un peu large, elle ne me satisfait pas complètement. Wikipédia m’apprend qu’en biologie, une communauté « représente un système au sein duquel des organismes vivants partagent un environnement commun et interagissent ».

Deux concepts clés ici : environnement et interaction.

L’environnement, c’est l’univers Panda Dynasty, structuré autour de trois dimensions : une histoire, des rendez-vous, des valeurs. Je vous ai déjà exposé les bases de l’histoire ou plutôt de la mythologie Panda Dynasty. Une dystopie sur fond de catastrophe écologique, la rapacité des humains, les dangers de la science sans conscience, l’éternelle histoire de la créature qui échappe à son créateur. Prométhée, Frankenstein, les tortues Ninja... il y a un peu de tout cela dans mon histoire. Finalement, la force des vieux mythes, c’est qu’ils se déclinent à l’infini et qu’ils parlent à tout le monde. Avec l’aide d’un scénariste recruté sur la plateforme Upwork, j’ai peaufiné mon pitch, développé des ramifications, étoffé les personnages. Avec la dessinatrice, nous avons transposé tous ces éléments sur le plan visuel... 

Sur la suggestion d’Alex Echo, nous avons même imaginé un lieu phare, le bar fictif Le Bambou, où les pandas se réunissent. Dans mon histoire, ce bar est une véritable institution, un lieu d’échange chaleureux et il se confond bientôt avec le chat de Discord : nous travaillons en live sur Discord et nous recueillons ainsi les réactions du public à chaud.

Les jours avancent. Le Discord s’anime, le nombre d’inscrits augmente. Je checke les stats tous les matins et la communauté prend forme, prend vie. Les échanges se multiplient.

Mais si ce double aspect communautaire est au cœur du projet, il ne faut pas pour autant perdre de vue le produit en lui-même. Nos 8 888 pandas sont certes des objets digitaux générés algorithmiquement, ils n’en sont pas moins uniques, et doivent faire l’objet d’un processus de création. Qui dit création dit humain : les machines ne créent pas, elles se contentent d’appliquer des règles et des calculs. En parallèle du travail sur la communauté, nous planchons donc sur l’étape la plus stimulante, la plus fondamentale et la plus complexe : la création des traits de nos 8 888 NFT. L’ensemble de ce travail relève de ce que j’ai nommé précédemment « direction artistique ». Il est temps que je vous en dévoile les coulisses.

Alors, comment passe-t-on d’un modèle dessiné par Ana en quelques minutes à 8 888 portraits d’animaux parfaits ? Ana ne va pas effectuer 8 888 dessins, non. Elle a beau avoir un sacré coup de crayon, elle n’est pas Flash Gordon. Les collections de NFT sont bien plus fines. Ici, on mixe le clic et le fusain, l’algorithme et le papier, les maths et la peinture.

Partons du premier modèle de panda, tel que vous le connaissez. Nous allons le décomposer en plusieurs morceaux, qui pourront chacun être déclinés en différentes variations. On compte ainsi le chapeau, les oreilles, les yeux, la bouche, les habits, la couleur de peau et le fond du dessin. Tous ces éléments, nous les ferons varier. Le visage, notamment le nez et les plissures, sera le même pour tous. Ce sera l’identité visuelle de la Panda Family. Chaque panda aura la même pose, légèrement tourné vers la gauche. Reconnaissable entre tous. Tous ces « morceaux » de pandas constituent des « classes de traits », des catégories au sein desquelles nous allons créer différentes versions pour décliner différents « traits », qu’on pourrait résumer à des accessoires.

Pour la catégorie (ou classe de traits) « chapeau », par exemple, on peut choisir une casquette, un bonnet, un chapeau de paille, un chapeau de Napoléon, un casque... On s’amuse à en inventer autant qu’on veut. Pour le fond, on peut créer des montagnes, la plage, des planètes, l’espace, etc. Vous saisissez l’idée... Vient alors la question de combien doit-on en mettre ?

Le nombre de traits par classe de traits induit directement la variabilité de la collection. On comprend aisément que si on ne choisit qu’un seul chapeau, tous les pandas auront le même... Plus on en met, plus ils seront différents, et plus la collection sera originale. Mais alors où s’arrêter ? Je pourrais en créer à l’infini ! Je n’en ai fichtre aucune idée... Je demande à Y sur Telegram, au cours d’une de nos conversations. Selon lui, pour qu’une collection vaille le coup, elle doit comporter un minimum de 150 traits. En dessous, c’est du travail d’amateur. À partir de 200, on est dans une moyenne acceptable. Mais nous sommes pressés par le temps : nous partons sur 200.

Nous avons défini 7 catégories. Cela signifie qu’il nous faut donc inventer 30 traits par classe de traits, pour atteindre les 30 × 7 = 210 traits... Vous me suivez ?

D 3-2-1, c’est parti !

Julien appuie sur le bouton magique.

GO. LFG. LET THE FUCK GO !!! Sur Discord, une déferlante de fusées, d’explosions. Vous avez compris que dans le langage de la communauté, ça traduit un enthousiasme certain.

Et bim, le premier zèbre a traversé la rivière aux crocodiles, les autres lui emboîtent le pas. Ils sont chauds, chauds bouillants même.

Les yeux rivés sur la plateforme Etherscan*, je mets à jour : contrôle Shift R – contrôle Shift R – contrôle Shift R – contrôle Shift R.

En cinq minutes, on atteint les 100 000 dollars correspondant à la vente de 500 pandas.

Pas mal.

Ne pas vendre la peau de l’ours...

Contrôle Shift R – contrôle Shift R – contrôle Shift R.

10 minutes : 700 pandas.

15 minutes : 1 300 pandas.

Mon cœur ralentit.

Une heure : 3 000 pandas.

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142 minutes

8 888 pandas

Ce que je décèle ne me plaît pas du tout...

Vous y voyez certainement une belle progression... Pourtant, je le sais, le miracle ne s’est pas produit. Les collections iconiques que sont Lazy Lions, Koala Intelligence Agency, Bored Apes se sont vendues en quinze minutes.

Et puis, en vieux singe du webmarketing, je ne peux plus me mentir : la courbe n’est pas exponentielle, la tendance va indéniablement vers la stagnation. À ce rythme-là, on n’arrivera jamais à sell out.