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7 merveilles du ROCK de 2010 à aujourd'hui

Recommander Par Hervé Resse 22 septembre 2019

7 merveilles du ROCK de 2010 à aujourd'hui
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Nous terminons ici un triptyque consacré aux 30 dernières années du rock… Choisir 7 disques sans savoir s’ils survivront au réchauffement de la planète, au refroidissement des relations américano-iraniennes, à la crise systémique de la finance mondiale et autres joyeusetés programmées... Est-ce bien raisonnable ?

Nous sommes bien d’accord : cet article fait l’impasse sur… Sufjan Stevens, Pokey Lafarge, Arcade Fire, Alt-J, Black Keys, Gorillaz, Tame Impala, et bien d’autres qui pourraient tout aussi bien prétendre à nos louanges. Et même! Sur Greta Van Fleet choisis pour leurs minois, mais finalement blacboulés à l'heure du choix ultime. Car vous savez la loi d’airain qui s’impose à nous. 7. Éventuellement 7+, mais sans abuser du procédé.

Voilà 7 disques excellents, chacun dans son registre. Ont-ils vocation à passer à la postérité ? Ma foi, je n’en ai pas la moindre idée. Dans dix ans peut-être, si Lucifer me prête vie jusque-là, je me mordrai les doigts de n’avoir pas choisi celui-là plutôt que celui-ci, et ignoré tel autre unanimement reconnu désormais.

Ce qui s’appelle donc, jouer avec le feu. N’importe : assumons !

1 Merveilles du Rock, 2010 et + : Lost on The River de The New Basement Tapes

Un peu d’histoire. Si vous le voulez bien. Les « Basement tapes » sont une série de quelque 150 morceaux enregistrés à la va-vite par Bob Dylan et The Band, autour de 67, et jamais édités officiellement avant 1975, heureuse sortie d’un double album qui portait ce nom et en proposait une vingtaine… Mais restaient tous les inédits, qu’on se repassait sous des noms divers et variés sous forme de « pirates », bootlegs ». Longtemps cela constitua le Graal de tout collectionneur… jusqu’à ce que Dylan sorte enfin l’intégrale, soit 6 CD en 2014.

Rien à voir avec ce double album ? Un peu quand même. « The New Basement Tapes » n’est ici plus le nom du disque, mais celui des musiciens impliqués. Et non des moindres puisque s’y trouvent T-Bone Burnett (producteur), Elvis Costello, Marcus Mumford (voir plus bas) et les moins connus mais non moins brillants Rhiannon Giddens (musicienne américaine aux inspirations celtes), Taylor Goldsmith et l’épatant guitariste chanteur Jim James. Soit un collectif chargé de mettre en musiques et d’enregistrer une vingtaine de textes, tous signés Bob Dylan, pour lesquels celui-ci n’a jamais trouvé les musiques adéquates (ou pas eu le temps, ou l’envie…) Il leur confia donc la mission de les trouver à sa place, et de les enregistrer eux-mêmes, tant qu’à faire.

Le résultat fut un pur bonheur. On se retrouvait avec une vingtaine de titres dylaniens sans Dylan, enregistrés par un groupe conscient de l’ampleur de sa tâche, et résolu à la mener à bien. Burnett comme à son habitude jouait les producteurs précis et inspirés, les interprétations collaient le frisson, quiconque avait le moindre doute sur la capacité de Mumford et des autres « jeunes » à se hisser au niveau de Costello et du Zim, en ressortait tranquillisé. La présence sur certains titres de Johnny Depp ou du groupe The Roots ne retirait rien à l’ensemble. 24 magnifiques chansons passant d’un interprète à l’autre avec subtilité et finesse. Très grand disque, et étonnamment semble-t-il, un peu difficile à se procurer aujourd’hui. Tentez donc Spotify ?

2 Merveilles du Rock, 2010 et + : Babel de Mumford & Sons

Pour bien mesurer la magie de ce groupe, il faut les voir en « live », constater l’invraisemblable enthousiasme qu’il génère, et singulièrement auprès d’un public féminin survolté, non pas en mode hystérique (revoir les archives de la glorieuse Beatlemania), mais façon fans enthousiastes reprenant tous les refrains en chœur. Babel constitue le deuxième album et assurément le meilleur d’un groupe auquel on ne fera qu’un reproche : s’être peu à peu éloigné de son ADN originel, reposant sur une idée géniale : bâtir des morceaux de folk rock, et y remplacer les parties de guitares solos par un banjo survitaminé. Cette simple audace offre aux deux premiers albums du groupe une tonalité qui les rend immédiatement reconnaissables, et franchement, donne à chaque morceau une énergie bluffante, encore démultipliée sur scène. Par la suite, le groupe, au lieu de cultiver sa différence jusqu’à en faire un style, retourna dans le rang. Leur troisième album sonna comme une tentative de rapprochement vers un U2 rajeuni, remplaçant ce banjo déluré par de plus banales six cordes électriques. Agréable, mais un rien décevant. Et le quatrième nous aura plutôt entraînés vers des couleurs Cold Play s’appliquant à sonner U2, ce qui n’a pour le coup plus rien de bien palpitant. 

Reste ce Babel, inclassable, enthousiasmant, énergisant au-delà du raisonnable. Marcus Mumford en est le leader, petit visage rondouillard et souriant qui révèle un showman expert, un compositeur inspiré, doté d’une voix chaude, qu’on entendit également dans la B.O du film des frères Coen Inside Llewyn Davies, évoquant l’éclosion de la scène folk du tout début des sixties. 

On espère que Mumford et sa clique reviennent tôt ou tard, et le plus tôt serait le mieux, aux vertus qui ont fait sa renommée. Traînent aussi sur YouTube des concerts filmés dans leur intégralité, qui vous laisseront par terre pour le compte.

3 Merveilles du Rock, 2010 et + : Royal Blood de Royal Blood

De même (voir plus loin) que le heavy rock à l’anglaise inspire aujourd’hui des groupes US, de même trouve-t-on de nouveaux venus de chez sa Glorieuse Majesté, qui revisitent les mânes du Grunge et les références aux Foo Fighters. Si vous écoutez Royal Blood sans savoir qu’il s’agit d’un duo, je vous mets au défi d’y songer, mais en même temps je vous l’ai dit donc c’est déjà trop tard. Il est naturellement difficile d’affirmer, à moins que les écoles de rock critiques distillent désormais des cours de lecture dans le marc de café, (ou de Bourgogne), quels disques resteront ou non, résisteront à l’usure du temps. On jurerait pourtant que Royal Blood sera de ceux qui tiendront. D’abord parce qu’ils évoluent dans une sphère musicale où l’on semble porté vers l’entraide et la promotion croisée (les Arctic Monkeys disent d’eux le plus grand bien). Ensuite, parce qu’ils développent une qualité pas si fréquente, d’architecturer leurs morceaux avec breaks et redémarrages, qui font la différence.

Pour info, ils annoncent la sortie d’un troisième album pour ces jours-ci, après avoir assuré une présence attendue lors du désormais légendaire festival Rock en Seine, fin août.

4 Merveilles du Rock, 2010 et + : Manipulator de Ty Segall

Sur sa fiche, il est dit de Ty Segall qu’il donne, ouvrons les guillemets, dans le « Garage rock, rock psychédélique, garage punk, noise rock, lo-fi ». C’est un hyperactif, un touche-à-tout, genre d’héritier de Beck Hansen, encore ces deux-là ne seraient-ils qu’aimables plaisantins, si l’on venait à exhumer des tréfonds de la petite histoire, le toujours sémillant R Steevie Moore, auteur depuis les années 60 de plus de 400 albums, qu’il distribue à quelques fous furieux tels que lui d’une façon (on s’en doute un peu) artisanale. 

Ty Segall n’en est pas à ce point, mais à moins de 35 ans a déjà multiplié les aventures sonores, sous son nom ou ceux de groupes tels Fuzz, Black Time, Fence. De toutes ces expériences, il nous semble que celle-là, millésime 2014, mérite toute votre attention. Et d’autant plus qu’à sa sortie, nombre de blogueurs spécialisés dans la chronique lapidaire (je ne me moque pas, dieu sait que j’y ai cédé aussi), faisaient la fine bouche et regrettaient (parlant d’un type de 27 ou 28 ans) « le Ty Segall d’avant ». Dans ces cas-là, on calme, on relâche d’un cran sa discipline (ne soyons point dévots soucieux de pénitence – tiens, un alexandrin), on laisse le temps faire son effet, et on retourne à l’objet, qui se trouve tout simplement un excellent album de pop-rock-psyché, riche en envolées de guitares fuzz ou distordues (je ne connais rien à la technique), avec une voix légère et planante, qui pardon, rappelle plus Pink Floyd que Black Sabbath, souvent cité sur les posts des blogs, encore y évoquaient-ils plus les rythmiques que le bel organe du bel Ozzy O.

Sans mentir, ce Manipulator est juste le compagnon idéal pour vos virées en terres inconnues. Mais n’oubliez pas : avec modération…

5 Merveilles du Rock, 2010 et + : The Next Day de David Bowie

Il avait mis dix ans, entre son précédent album et celui-là. Lui qui avait été parfois si prolifique, autrefois. Il parvenait dans ce nouvel épisode, à réunir au fil des titres, le Bowie tel que nous l’avions suivi dans chacune de ses périodes, (comme on parle de la « période bleue » d’un peintre) ; des débuts d’un androgyne provo, bientôt promu icône du Glam, devenu gentleman attiré par le funk, puis inventant la cold wave à venir, au moment où le gros du troupeau se débattait encore pour choisir entre « punk » et « new wave ». Bowie avait tenté toutes les innovations sonores, cédé aux sirènes de la techno, pondu peut-être un ou deux trucs un petit peu chiants, mais voilà qu’il sortait cet album en 2014, et on l’espérait reparti pour un grand tour, puisque tels les alchimistes il était parvenu à réunir ce qui était « épars ». Bowie avait 66 ans, et tout prouvait que ce n’était pas encore l’âge de la fin que tant redoutent. 

Mais quand sortirait l’album suivant « Black Star », il ne resterait à David Bowie, né Jones, que deux jours à vivre, et cet album-là aurait la noirceur des deuils qu’on n’a pas envie de « travailler ». Si Black Star est un bel album sombre et désespérant, mieux vaut donc, de ces années 2010, conserver de David B. la mémoire du précédent, où se trouvent rassemblées toutes les facettes d’un génie. Voyez comme les impressions sont trompeuses : le titre de la pochette détournait celle d’un disque paru quelque trente cinq ans plus tôt, semblait dire, oublions tout le passé, ne pensons qu’au jour suivant, et pourtant ce disque était le kaléidoscope de tout ce qui nous l’avait rendu indispensable. Un kaléidoscope en noir et blanc.

David Bowie ne faisait rien comme personne. Parce que personne, absolument personne, ne pouvait, peut, ou pourra ressembler à David Bowie.

6 Merveilles du Rock, 2010 et + : AM d'Arctic Monkeys

« Je refusais d’écouter les Arctic Monkeys, parce que j’avais entendu dire qu’ils étaient vraiment bons ». C’est aussi pour ce genre de « quote » qu’on se doit d’aimer Peter Doherty, qui déclarait ceci voici quelques semaines à peine, à propos d’un groupe repéré par les radars depuis 2002. De même m’amusais-je, en ces temps bénis, à régulièrement taquiner ma descendance, ce qui l’exaspérait au plus haut point, à propos de ce groupe seulement bon à balancer de la popounette… alors que je n’avais pas non plus écouté « sérieusement » leurs morceaux. 

Mais on ne peut avoir raison tout le temps contre tous. « AM », leur cinquième opus, fut à sa sortie salué par le NME comme album de l’année 2013, puis récompensé l’année suivante d’un British Awards. Vous me diriez, et vous n’auriez pas tort, que récompenses et qualités artistiques ne font pas toujours bon ménage, la preuve ? Bilal Hassani n’a pas gagné l’Eurovision 2019. 

Il ne fait guère de doute que les Singes de l’Arctique sont plus des musiciens « pop » que « rock », mais ne jouons pas les rigoristes, les puristes, les intégristes. Cet album est d’une rare diversité, la production signée James Ford, un des fondateurs des intermittents Last Shadow Puppets, est comme à l’ordinaire : brillante. On est dans cette veine qui de Gorillaz à Miles Kane offre un spectre large, vise un public large, le trouve, sans pour autant se compromettre. The Arctic Monkeys font de la pop propre, « mainstream », mais tout le monde n’a pas non plus vocation à s’époumoner tel un fils caché de Johnny Rotten sortant de garde à vue.

7 Merveilles du Rock, 2010 et + : Feral Roots de Rival Sons

Demeure une évidence : de même qu’il y aura toujours des groupes ou chanteurs de Blues, qui referont du Leadbelly ou du John Lee Hooker parce qu’il FAUT du blues dans la vie, du blues de l’époque. De même qu’il y aura probablement toujours des bandes de petits morveux s’imaginant en Ramones des années 2030, et qui le feront avec l’énergie de leur époque. De même aurons-nous toujours de jeunes groupes affairés à remettre au goût du jour le « heavy rock », ou « blues rock » de cette fin des années 60. Du « hard rock » ? Pas tout à fait. Pas de surenchère inutile, tout pour la cohésion d’ensemble : chanteur en mode aussi puissant que le ou les guitares assurant juste derrière, comme savaient le faire les Free ou Led Zepp en leur temps. Tandis qu’une section rythmique basse et batterie, parfaitement en phase, déclinera les tempos, lent, mid, rapides, avec une précision qu’on s’acharnera à qualifier de métronomique. C’est comme cela, et s’il fut une époque où tout ceci me laissait de marbre (déjà vu, déjà entendu, en mieux, à quoi bon), je me surprends aujourd’hui à écouter différemment ces groupes traçant de nouveau le sillon travaillé par leurs aînés, pour des publics d’aujourd’hui qui n’ont pas toujours écouté Free, Humble Pie, ou d’autres. J’aurais pu évoquer, côté ricain, ces Greta Van Fleet obnubilés par Led Zeppelin au-delà de toute raison. Mais j’ai peur qu’ils lassent assez vite, quand bien même sont-ils assez surprenants.

Faute de boule de cristal, je suis bien incapable de dire si les Rival Sons ne feront que passer, ou s’ils laisseront quelque trace dans l’histoire mondiale des musiques électriques à travers les âges. Je sais juste que cet album régénère, tonifie, pulse, n’amuse pas le terrain, ne prend pas l’auditeur pour un benêt, et que ses auteurs présentent une discographie déjà sérieuse (cinq ou six albums déjà parus). Ce dernier a tout pour réjouir les fans de heavy rock anglais de la toute fin des seventies. On me glisse dans l’oreillette qu’ils sont américains ? Voilà bien la preuve que ces Rival Sons ont aussi une belle ouverture d’esprit. Et puis les influences, ça va ça vient, ce sont les rares traversées d’Atlantique qui n’aggravent pas trop le bilan carbone. Modernes dans la tradition en somme.

8 Merveilles du Rock, 2010 et + : Wrecking Ball de Bruce Springsteen & E-ST

Je ne pouvais terminer ce triptyque sans évoquer une fois au moins l’ex-futur de rock n roll, qui n’en demeure pas moins son présent, plus de quarante années après la prévision de Martin Landau. Si vous me voulez sincère, tout springsteenmaniaque que je sois, il me faut admettre que depuis leur retour aux affaires en 2001, tous les albums du E. Street Band sont d'inégales valeurs. Chacun recèle ses pépites, mais bien des morceaux n’atteignent pas la densité espérée. On me rétorquera que les temps forts ne le sont qu’en comparaison de temps en peu plus faibles, et qu’il faut savoir se satisfaire du nécessaire, comme dit Baloo. 

Il n’empêche, de Springsteen et son gang, on attendrait toujours un monument. High Hopes, sorti en 2014, est un très bon disque, mais en réalité constitue un patchwork de morceaux inédits ou réenregistrés. 

Dans cette décennie, le meilleur album du « Boss » demeure à mon avis celui-ci, qui détient aussi la palme de la plus laide pochette. C’est un album de colère, contre une certaine Amérique qui se plante et cesse de donner sa chance, une Amérique de Wall Street, tout juste pré-Trump, qui survolte l’amertume à coups de riffs tranchants. Le disque fait aussi référence aux racines irlandaises, aux Terres du New-Jersey qui sont à jamais son territoire. Il tente aussi des incursions inédites dans des sonorités rap. Wrecking Ball, le morceau, parle de ces énormes boules qu’on balance en rafales contre les murs de béton d’un stade qu’il faut détruire pour en finir avec le siècle d’avant. En fouinant un peu, j’ai trouvé sur Slate un article qui disait tout le mal qu’il fallait penser ce disque. On y chargeait tellement la barque que ça ne donnait plus qu'une envie. Aller réécouter. Comme quoi, les goûts et les couleurs…

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