Le solaire et l'éolien sont nos puits de pétrole
En France, on n'a pas de pétrole (ni d'uranium), mais on a du Mistral, de la Bise, de l'Autan et 300 jours de soleil par an de Menton à Perpignan. Pour Jean-Yves Grandidier, fondateur de Valorem une PME pionnière du secteur, nous avons tous les arguments pour devenir l'Arabie Saoudite des énergies renouvelables.
Il y a des informations qui se télescopent méchamment. Alors que les températures chutent de 6 à 8 degrés en dessous des normales, il y toujours cinq réacteurs nucléaires à l’arrêt ! La faute à la maintenance habituelle mais aussi à des problèmes de sureté sur demande de l’ASN (autorité de sureté nucléaire) à la suite de l'anomalie découverte dans certains générateurs de vapeur. Et la conférence annuelle du gestionnaire de réseau RTE ce 8 novembre a confirmé la le gap entre l’offre et la demande.
On va donc importer de l’électricité produite par les centrales à charbon allemandes qui ne font pas de bien à la planète au lieu de profiter de notre gisement en énergies renouvelables moins chères, moins polluantes, moins dangereuses et illimitées.
Et ce n’est pas de l’idéologie, c’est de l’économie. C’est en tout cas le point de vue de Jean-Yves Grandidier président de Valorem, la principale PME d’études, de construction et d’exploitation des énergies renouvelables en France (180 salariés, 47 M€ CA) et fondateur de France Énergie Éolienne, le syndicat de représentation de la profession. On a posé 7 questions à ce militant des énergies vertes qui considère que la France a le plus fort potentiel en Europe pour développer cette filière.
1 | Il y a eu jusqu'a une vingtaine de réacteurs nucléaires à l’arrêt cet automne, c’est une bonne nouvelle pour les énergies renouvelables ? |
Jean-Yves Grandidier : Oui, cela démontre d’abord que le nucléaire est une filière vieillissante. Les gens vont prendre conscience que dépendre uniquement du nucléaire pose de nombreux problèmes.
Si le renouvelable se développait plus rapidement, nous serions moins vulnérables en cas d’arrêt des réacteurs. C’est intéressant pour le consommateur qui n’a pas envie de passer Noël sans électricité. Ce sera aussi important pour le contribuable des générations futures ; il pourra prélever sur la rente des renouvelables de quoi financer la fin de vie du nucléaire.
De plus, l'arrêt des réacteurs provoque une augmentation des prix de l’électricité sur le marché de gros (sans que cela impacte d’ailleurs le consommateur particulier puisque les tarifs sont réglementés) et les énergies renouvelables vont donc devenir encore plus compétitives.
Paradoxalement, cet arrêt est aussi une bonne nouvelle pour EDF car quand le prix augmente… les marges aussi.
Compte tenu du coût de maintenance des centrales (ndlr : environ un milliard d’euros cet hiver, mais la Cour des comptes a estimé que le grand carénage reviendra à 100 milliards au total...), il suffirait de fermer dix réacteurs nucléaires pour qu'EDF retrouve des marges qui lui permettent de vivre. Il n’y a aucune rationalité économique à vouloir conserver un parc nucléaire aussi important. Je ne comprends pas cette position. C’est une posture dogmatique, pas un raisonnement économique.
2 | Les énergies renouvelables peuvent-elles remplacer les réacteurs à l’arrêt ? |
Jean-Yves Grandidier : Aujourd’hui, on ne peut certes pas se substituer à tous les réacteurs à l’arrêt. Mais l’énergie éolienne remplace déjà 4 réacteurs nucléaires. 11000 mégawatts sont installés sur le territoire. C’est ce que produit une centrale comme celle du Blayais. Quant au solaire, il ne représente qu’un réacteur à l’heure actuelle; mais on devrait au moins multiplier sa production par quatre d’ici 2023.
Nous devrions avant 2030 pouvoir facilement remplacer une vingtaine de réacteurs à l’arrêt, qui représentent un tiers % de notre consommation électrique… En effet, d’après la loi sur la transition énergétique, en 2030 on sera à 40 % d’énergie renouvelable dans le mixte électrique dont 27 %, 28 % d’éolien et de solaire (et 12 à 13 % d’hydraulique).
3 | 40 % d’énergies renouvelables en 2030, ce n’est pas un peu utopique ? |
Jean-Yves Grandidier : Les Allemands produiront 40 % d’énergies renouvelables dans deux ans ! Donc c’est possible. Car de surcroit, la France a des atouts que l’Allemagne n’a pas pour les énergies renouvelables. Nous sommes mieux dotés. Notre territoire est beaucoup plus grand que le territoire allemand (ndlr : 551 500 km2 contre 357 021). Nous avons donc plus de forêts et de surfaces agricoles qui produisent des déchets que nous pouvons valoriser énergétiquement. Grâce à nos montagnes et à nos cours d’eau, nous profitons de l’énergie hydraulique. Le solaire dans le sud de la France bénéficie d’un ensoleillement plus persistant en Provence qu’en Bavière... On a plusieurs façades maritimes et nos éoliennes peuvent profiter d’un foisonnement de régimes de vents différents. Il y a toujours quelque part en France du vent et donc de l’énergie éolienne. Ce qui n’est pas le cas de l’Allemagne où l’éolien est concentré dans le nord. Quand il n’y a pas de vent en Mer du Nord, il n’y a pas de production d’électricité éolienne.
Et il y a enfin un dernier avantage que personne ne prend en compte : nous sommes au cœur de la plaque électrique européenne. Le surplus d’électrons renouvelables que nous pouvons fabriquer en France peut être évacué aux quatre coins de l’Europe. Tandis qu’en Allemagne, il faudrait tirer une grande ligne très haute tension du nord au sud de l’Allemagne pour évacuer les surplus, ce qui coute une fortune. Pareil pour la péninsule ibérique qui pourrait produire de l’électricité pas chère dans le sud de l’Espagne mais qui est contrainte par les distances, sans parler du Maghreb… A un moment, les Allemands voulaient que 15 % de l’électricité européenne provienne du Sahara. C’était sans compter sur les problèmes de réseau que ça pose.
Voilà pourquoi, en France, il n’y a pas de problèmes pour être à 40 % d’énergies renouvelables très vite… et donc atteindre une production supérieure à cette vingtaine de réacteurs à l’arrêt. On a ce potentiel. Maintenant, il faut une volonté politique. Et c’est là que le bat blesse… Il y a un vrai problème de responsabilité sur la fin de vie du nucléaire et son financement.
4 | Les énergies renouvelables sont elles compétitives face au nucléaire ? |
Jean-Yves Grandidier : Le nucléaire, compte tenu des impératifs de sécurité et de maintenance est devenu plus cher que les énergies renouvelables dont le prix a tendance à baisser grâce aux progrès techniques.
Le gouvernement britannique a signé un contrat avec EDF pour construire deux centrales EPR à Hickley point pour acheter l’électricité à 93 livres, soit 110/130 euros le MWh environ pendant 35 ans. Ça c’est factuel. Nous, quand on signe un contrat avec l’Etat, on vend le MWh éolien ou solaire à 80 euros pendant 15 ans...
5 | Mais comment fournir l’électricité à une agglomération comme Paris sans passer par le nucléaire ? |
Jean-Yves Grandidier : Nous avons la chance d’avoir ce que j’appelle la ceinture éolienne de Paris. La Picardie, le Centre et la Champagne regroupent déjà le plus de mégawatts installés sur terre en France et ils sont à quelques encablures de Paris, le plus gros centre consommateur. Les nécessités d’adaptation sont beaucoup plus faibles qu’en Allemagne. On parle de 30 milliards d’euros de développement de réseau en Allemagne pour installer les renouvelables… et de seulement 3 milliards en France ! Cela nous couterait dix fois moins cher. La France a des atouts que n’ont ni l’Allemagne, ni l’Espagne, ni l’Italie, ni le Royaume Uni… Le solaire et l’éolien sont nos puits de pétrole. En Europe de l’Ouest, la France c’est l’Arabie Saoudite du renouvelable.
6 | Mais quand le vent cesse de souffler qui produit l’électricité ? |
Jean-Yves Grandidier : Il faut voir le renouvelable comme un bouquet d’énergies. Quand il n’ y a plus de vent, c’est souvent en été, lorsqu’il y a du soleil… et donc de l’énergie solaire. Inversement en hiver, il y a du vent et c’est à ce moment que nous avons les plus grosses consommations.
En France, nous sommes très thermosensibles. La bise, le blizzard, tous les vents du Nord-Est refroidissent les maisons, augmentent les besoins de chauffage… mais font tourner les pales des éoliennes. Cette extrême pointe de consommation qui peut atteindre 100 gigawatts correspond à notre pointe de production. Les éoliennes produisent déjà à ce moment 4 à 5000 mégawatts au dessus de leur facteur de charge annuel et peuvent remplacer la production de 4 à 5 réacteurs nucléaires..
7 | Mais les éoliennes, ça apporte quoi aux riverains à part des nuisances ? |
Jean-Yves Grandidier : On a fait beaucoup de progrès, et on en fait encore. Quand il y a des faibles vitesses de vent, le bruit de l’éolienne émerge par rapport au bruit ambiant. Dès que les vitesses sont plus fortes, la végétation se met en mouvement et ça couvre le bruit de l’éolienne.
L’enjeu c’est de réduire la vitesse de rotation de la pale, car c’est cette pénétration aérodynamique de la pale dans l’air qui provoque le bruit. C’est que nous avons fait depuis quinze ans ce qui permet en plus de mieux récupérer l’énergie. Résultat, une éolienne située à 500 mètres d’une habitation fait dix à quinze fois moins de bruit qu’une autoroute à la même distance.
Pour les riverains, l’installation est souvent perçue comme une richesse pas comme une nuisance. A Chalon en Champagne, par exemple, où on est confronté au transfert de la capitale régionale à Strasbourg, les habitants voient l’implantation d’un parc éolien comme une bonne nouvelle. Les éoliennes, c’est une richesse. Il y a des travaux, des investissements. Ce sont des emplois locaux durables. Les 11 000 mégawatts installés ont crée 15 000 emplois en France. Chaque éolienne, c’est 1,6 emploi par mégawatt or une éolienne produit en général deux mégawatts. Donc chaque éolienne construite en France, c’est trois créations d’emplois… qui vont durer au moins vingt ans !
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