7 façons de foirer son premier roman - et d’être quand même acclamé –
Toute la presse a encensé En attendant Bojangles, le best seller de cette année 2016. Mais pas nous. Mais alors pas du tout.
Une « fable pétillante comme une flûte de champagne » (Télérama) « le livre qui redonne le goût de lire » (Le Point). « Un magnifique récit d’amour et de désespoir» (Paris Match)… N’en jetez-plus !
Fade, sirupeux et bourré de clichés, En attendant Bojangles m’a arraché des râles d’exaspération. Comment le premier roman d’Olivier Bourdeaut a-t-il pu décrocher le très convoité bandeau de « révélation de l’année » ? Et comment reproduire cet exploit chez soi ? Voici sept pistes à explorer.
1 | Inventer une famille de tarés (mais pas trop) |
Dotez-vous d’un imaginaire en papier glacé, truffé d’appartements haussmanniens et de bulles de champagne. Mettez le paquet sur la déco, faites-la extravagante et raffinée, vos lecteurs doivent avoir l’impression de se mouvoir dans une bluette de Woody Allen. Dans cette atmosphère féérique, plantez une brune tapageuse aux jambes longues et satinées, flanquez-la d’un mari énamouré et d’un petit garçon hagard.
L’assemblage vous semble bourgeois et convenu ? Saupoudrez-moi ça d’une pincée de fantaisie : Entre deux gorgées de Mojito, la brune timbrée débite de délicieuses âneries. Entre deux gorgées de gin tonic, le mari énamouré soulève des haltères de 500g « en écoutant du jazz. » Entre deux morceaux de Nina Simone, introduisez les folles jacasseries d’un oiseau tropical au ramage multicolore. Banco ! Vous tenez-là Ze famille en col-claudine et paillettes, déjantée mais pas débraillée, qui fera fondre toute ménagère de moins de cinquante ans qui se respecte.
2 | Glamouriser la folie |
C’est connu, la folie, c’est triste, c’est moche et ça fait peur. N’hésitez donc pas à la photoshoper lourdement : exit les patients ordinaires au regard vitreux et aux épaules affaissées, à l’aliénation morne et résignée. Votre personnage psychotique doit ressembler le plus possible à une échappée d’asile hollywoodien. Votre brune tapageuse n’aura donc jamais le même prénom plus de deux jours d’affilée, dansera comme une sylphide et boira comme un chameau, sans se départir une seule seconde de son charme ravageur ni de sa légendaire répartie.
Vous pouvez lui faire faire de jolis dérapages, une culotte en dentelle jetée à la tête d’un invité ou un luxueux salon incendié, de temps en temps, ça ne fait pas de mal. Vous l’aurez compris, l’essentiel est de ne jamais décrire la folie telle qu’elle est vraiment : une maladie invalidante, accablante, pour le patient et son entourage.
3 | Opter pour l’enfant narrateur et ses adorables taches de rousseur |
La candeur, une recette qui marche à tous les coups. Pourquoi se priver de la jolie voix mutine d’un enfant ? Faites comme Kiri, parsemez votre storyboard de mots naïfs et de mignonnes exclamations. Tant pis si ça sonne faux, si votre gamin a l’air de parler comme un vieillard à bedaine. C’est un infime détail que vos lecteurs vous pardonneront volontiers. Ne vous inquiétez pas, on ne vous demande pas d’être Émile Ajar du premier coup.
4 | Ne pas changer une recette (sexiste) qui gagne |
Baissez-vous et ramassez à pleines mains toutes les pépites dont regorge notre imaginaire patriarcal. Vos lectrices, dont le rêve refoulé est d’être entretenues, s’extasieront devant cette brune sauvage et couverte de bijoux qui se gargarise de Margaritas en sautillant joyeusement sur les canapés. Qui a eu l’amabilité d’essayer de bosser chez le fleuriste du coin mais s’est barrée au bout d’une après-midi… quand on lui a gentiment expliqué que les bouquets étaient payants ! Il n’y a qu’une femme pour avoir autant de courants d’air dans le ciboulot.
Le mari, lui, est toqué, mais ouvre des garages et gagne des millions. Voilà qui devrait combler de satisfaction votre mâle lectorat : qui sait, en se tuant à la tâche, ils pourront peut-être se payer un jour la dinde aux longues jambes et à la petite cervelle dont ils ont toujours rêvé.
5 | Ne même pas essayer d’être plausible |
Vos personnages vivent dans une caricature de conte de fées, s’offrent un château en Espagne pour prendre au mot un malotru ? Festoient jour et nuit ? Gagnent des millions sans jamais ouvrir le courrier ? Déscolarisent leur enfant dans l’insouciance et la bonne humeur ? Orchestrent en pouffant de rire un kidnapping dans un hôpital psychiatrique ? Ce n’est pas grave, élucubrez, élucubrez, il en restera toujours quelque chose. Suivez le flow de vos pensées stéréotypées ! C’est peut-être comme ça que Beckett a troussé En attendant Godot. Laissez la rigueur et la cohérence aux bougons et autres sinistres individus
6 | Bâcler la part d’ombre des personnages |
Ça y est, vous voilà dans le vif du sujet. Votre brune tapageuse passe de fofolle sympa et attachante à folle dépressive et dangereuse. Il est temps que votre lecteur, bercé par tant de lubies poétiques, perde pied, tangue un peu. C’est le moment d’introduire un soupçon de noirceur, d’effarement, d’angoisse. Mais bon, vous êtes aimable et précautionneux. Vous savez que vos lectrices risquent de vous lâcher d’un instant à l’autre pour lorgner des assiettes rose bonbon sur Instagram. Veillez donc à distiller le malheur et les émotions dérangeantes au compte-goutte. Un lecteur bienheureux et satisfait est un lecteur qui revient.
7 | Faire pleurer dans les chaumières |
À la fin du roman, après tant de mièvreries, ne vous privez pas d’un dénouement tragique, digne d’une télénovela bon marché. Mettez à profit les dernières recherches scientifiques sur l’empathie humaine pour imaginer le truc le plus larmoyant, le plus terrassant qui soit. Peu importe si la mise en scène est éculée, rabâchée à l’envi, vos lecteurs iront étouffer leurs sanglots contre leur oreiller. Ils auront tous envie d’adopter le gamin aux adorables taches de rousseur. Et ils vous maudiront puis vous oublieront. Mais vous aurez vendu 120.000 exemplaires, ce qui n’est pas rien
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