7 leçons à retenir de la victoire de Trump
Nous ne sommes pas des Anglo-Saxons mais nous vivons sur la même planète mondialisée que les Britanniques et les Américains. Et Donald utilise les mêmes ressorts que Marine pour s’adresser aux mêmes populations…
Le triomphe du candidat de la démagogie n’est pas forcément une défaite de la pensée. La bêtise n’est pas toujours du côté du peuple mais aussi du côté de ceux qui ne savent pas l’écouter.
Ici comme là bas, le peuple est imprévisible, aventureux, immature, colérique… oui, c’est vrai. Mais il surtout malheureux. Et Donald Trump, lui, a su leur parler.
1 | Le peuple n’est pas raisonnable |
Il n’a pas envie d’écouter les experts et les people. Il se fout de l’avis de Laurent Joffrin ou de Lady Gaga. Il n’a pas l’esprit Canal (d’ailleurs plus personne ne l’a). Il ne croit pas que le bio c’est bon pour la santé s’il n’a pas les moyens d’en acheter.
Il ne croit pas ce qu’on lui dit si c’est raconté par des gens qui ne lui ressemblent pas. Il ne croit pas que ça va mieux si ça va mal pour lui. Il ne croit plus que ça ira mieux, si c’est dit par quelqu’un qui lui a déjà menti.
Le peuple ne va pas très bien (ou en a le sentiment), il est énervé et tous les médecins qui se penchent à son chevet (politiques, médias, experts…) ont déjà démontré qu’ils n’avaient pas su le soigner et a fortiori le calmer. Alors peu importe les discours, la raison et la logique, il n'en à rien à secouer le peuple. Il n’écoutera que celui qui lui remuera les tripes et canalisera sa colère
2 | Le peuple n’est pas regardant |
Trump le beauf misogyne a convaincu 48 % de femmes, à commencer par la sienne qui s'étale aujourd'hui dénudée en Une du New York Post, de voter pour sa pomme. Trump le raciste a même raflé 30 % des voix hispaniques. Trump le milliardaire fait rêver les prolos ruinés et les classes moyennes déclassées. Trump a des casseroles et aura des procès. Mais on s’en fout. En politique, la moralité n’est pas une qualité. Elle a moins d’importance que la capacité à faire croire à l’électeur qu’on parle la même langue que lui.
Le peuple ne veut pas du plus compétent : il a déjà donné et il a bien morflé. Le peuple veut quelqu’un qui lui ressemble et lui raconte des choses simples. Peu importe que le candidat soit un bourgeois friqué, éduqué et bien né, l’important est qu’on le comprenne. Peu importe qu’il fréquente les plus grands, l’essentiel est qu’il ne soit pas arrogant avec les plus petits. Et peu importe qu’il soit intelligent (ou qu’il ait l’air), s’il a du tempérament..
3 | Mais le peuple est le plus nombreux |
Les capitales sont minuscules dans les urnes. Les Londoniens, les New-Yorkais ou les Parisiens (mais aussi les habitants des métropoles régionales) vivent dans l’espace relativement préservé de la mondialisation heureuse. Le problème, c’est qu’il y a plus d’habitants dans les banlieues, les zones périurbaines, les petites villes et les campagnes. Et là, ça va beaucoup moins bien. Les emplois s’évaporent, les commerces ferment dans les centres ville, les services publics sont à l’abandon, les terres sont en friches, les agriculteurs se suicident, plus rien ne pousse ici. Sauf la colère.
4 | Les électeurs mentent aux sondeurs |
Après le Brexit, l’élection de Trump ressemble à un désaveu des instituts de sondage. Mais ce ne sont pas les sondeurs qui se plantent, ce sont les sondés qui ne sont plus fiables.
Les instituts de sondage font parti de l’élite, au même titre que les médias, les politiques et les experts. C’est l’œil de Moscou de l’establishment. Pourquoi leur parler ? Pourquoi leur dire la vérité alors qu’ils méprisent notre vote ? Voter pour le Brexit, Trump ou Le Pen procède de la même logique que mentir au sondeur : on nique le système pareil.
5 | La gauche n’est plus le peuple |
Elle aurait pu le rester ou le devenir en Amérique si Sanders avait gagné la primaire. Mais l’establishment de la formation a favorisé sans vergogne sa candidate, les grands électeurs désignés par le parti lui étaient acquis et elle a même, comme l’a révélé wikileaks, profité d’une taupe qui lui fournissait les questions du débat contre son adversaire démocrate. C’est ça aussi Hillary. Une héroïne d’House of Cards. Et un produit périmé qui comme le souligne le Guardian a un "CV impressionnant" mais qui se révèle la pire candidate pour un pays en colère contre les élites. Ainsi que l’explique avec son humour ravageur Michael Moore dans sa chronique prémonitoire du Huffington : « Les jeunes n'ont aucune tolérance pour les discours qui sonnent faux. Dans leur esprit, revenir aux années Bush-Clinton est un peu l'équivalent d'utiliser MySpace et d'avoir un téléphone cellulaire gros comme le bras ».
En France également, les jeunes (et les pauvres) qui, traditionnellement votaient à gauche, ne se déplacent plus aux élections. L'abstention a même atteint 7 électeurs jeunes et/ou pauvres sur 10 aux dernières départementales.
Aux Etats-Unis, on proposait un remake Bush-Clinton et le peuple a répondu fuck ! En France, on pense rediffuser Sarko, Juppé, Hollande… et le peuple pourrait bien s’exprimer pareil. Certes, il y a de nombreux prétendant au titre de Sanders français… et un seul semble en avoir l’envergure, c’est Mélenchon. Mais contrairement à Sanders, il refuse le jeu de la primaire...
6 | C’est le réveil des damnés de la mondialisation |
Quiz. Qui a dit ? « Ce qui s’est passé, c’est la volonté de rompre avec la mondialisation sauvage, avec la concurrence internationale déloyale. C’est la volonté de retrouver la nation avec ses frontières et la somme des protections qu’elle peut offrir au peuple. C'est aussi la sanction du mépris et des moqueries à l'égard des peuples ».
Et qui a dit ? "Dans ce monde si troublé, que nous dit la démocratie américaine ? Le besoin de frontières, le besoin de réguler l'immigration, la nécessité bien sûr de combattre le terrorisme, et de nommer le totalitarisme islamiste. Le besoin aussi de mieux redistribuer les richesses. Le besoin de protection pour les couches populaires et les classes moyennes, qui vivent ce sentiment de déclassement."
La première citation est de Marine Le Pen au JT de France 2 (voir vidéo ci-dessus). La seconde de Manuel Valls à l’assemblée nationale. Quasiment la même analyse, quoi que Valls en rajoute une couche sur l’immigration ce que s’est bien gardé de faire Marine Le Pen face à un journaliste qui tentait de la mener sur ce terrain. Mais au delà du jeu des comparaisons, les deux visent juste. Trump est la conséquence de la mondialisation malheureuse décrite par le politologue Thomas Guénolé dans son dernier livre. Le croissant fertile du FN du Nord et de l’Est de la France correspond à la rust belt, la ceinture de rouille qui a remplacé la manufacture belt aux Etats-Unis. C’est la même carte postale d’usines désaffectées que dans l’Angleterre du Brexit.
Les victimes des décisions prises dans les bureaux feutrés des oligarques de la Défense, de la City, de Wall Street, de Shanghai ou de Bruxelles ont tout perdu : un emploi stable d’abord mais aussi un statut et la fierté d’appartenir à une classe ouvrière reconnue, valorisée. Ils ne reçoivent plus que « mépris et moqueries » dit Marine Le Pen qui sait toucher là où ça mal. Ils ont tout perdu. Sauf un bulletin de vote.
7 | Le vertige de l’isoloir |
Le Monde commence ainsi le premier article de sa page deux à l’issue du scrutin : « La nouveauté, et ses risques, l’ont emporté sur la sécurité. L’Amérique a choisi l’aventure, quel qu’en soit le prix » . On sent entre les mots l’incompréhension du journalisme mainstream devant l'invraisemblable immaturité des peuples. En même temps, ces 20 mots sonnent terriblement juste. Oui dans le secret de l’isoloir (ou du vote par correspondance), on a tous un super pouvoir. Celui de dire merde. Voilà un sacré vertige et un frisson pour pas cher. Voter Trump ou Le Pen, c’est tenter une aventure, un truc bien bandant qui est compris dans le slogan « make america great again ».
Le risque ? On n’y pense pas. Quel risque ? Celui de perdre le job qu’on n’a plus ? Celui de payer moins d’impôts ? Celui de voir partir des migrants ? Ah ! Ce n’est pas un vote altruiste. On a envie d’être « strong » mais pas « together ». Le vote tel qu’on le pratique dans nos démocraties représentatives est d’abord un acte individualiste et secret. On peut bien se transformer en troll : on ne risque rien !
Et surtout on n’a jamais essayé ce truc de ouf: le coup de pied dans la fourmilière. Un geste qui démange de plus en plus de jambes de gens… qui ont bien retenu une formule qu’on leur répétait quand ils étaient petits « Comment tu peux dire que tu n’aimes pas, si tu n’as pas goûté ? ».
Et c’est comme ça qu’on risque à notre tour de boire une sacrée potion au printemps prochain...
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