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7 questions sur le concert de Médine au Bataclan

Décrypter Par Laurent Gayard 21 juin 2018

7 questions sur le concert de Médine au Bataclan

Médine, de son nom complet Médine Zaouiche, né le 24 février 1983 au Havre, en Seine-Maritime, est un rappeur français.

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Médine, le rappeur qui clame « crucifions les laïcards au Golgotha » ou « J'mets des fatwas sur la tête des cons » se produit au Bataclan en octobre prochain. Les uns y voient une insulte aux victimes de 2015, les autres invoquent le respect de la liberté d'expression.

Médine, rappeur aux textes pour le moins contreversés, qui clamait en 2015 dans Don't laïk, « crucifions les laïcards au Golgotha » ou « J'mets des fatwas sur la tête des cons », est programmé au Bataclan en octobre 2018. De nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer l'insulte faite aux 90 morts du 13 novembre 2015, Médine quant à lui, plaide le second degré et la provocation et invoque la liberté d'expression. Retour en sept questions sur la polémique.

1 Pourquoi Médine au Bataclan suscite le malaise et la polémique ?

7 questions sur le concert de Médine au Bataclan

Trois ans presque révolus après la tuerie qui a coûté la vie à 90 personnes au Bataclan le 13 novembre 2015, Médine est censé se produire dans la même salle en octobre 2018. Le rappeur affectionne les textes à la teneur très provocatrice et très ambiguë et l’idée de voir le chanteur entonner les paroles de Don’t Laïk, le morceau sorti dans les bacs une semaine avant la tuerie de Charlie Hebdo du 7 janvier 2015, a suscité de vives réactions.

Nous sommes les gens du Livre

Face aux évangélistes d'Eve Angeli

Un genre de diable pour les anges de la TV Reality

Je porte la barbe j'suis de mauvais poil

Porte le voile t'es dans de beaux draps

Crucifions les laïcards comme à Golgotha

Le polygame vaut bien mieux que l'ami Strauss-Kahn

Si les réactions de Marine Le Pen (« Aucun Français ne peut accepter que ce type aille déverser ses saloperies sur le lieu même du carnage du #Bataclan) ou de Laurent Wauquiez (« Sacrilège pour les victimes, déshonneur pour la France ») ont tout de suite attiré l’attention des médias, les réactions ont aussi émané des victimes de l’attentat du 13 novembre, par la voix notamment du président de l'association 13Onze15 Fraternité et Vérité, Philippe Duperron, qui espère une annulation des deux concerts prévus pour ne pas être « deux fois victimes », en laissant un « personnage éminemment contestable » accéder à la scène du Bataclan. Tout le monde, parmi les associations de victimes ne partage pas cette position, comme Emmanuel Domenach (ex-vice-président de 13Onze15), dénoncent la récupération politique de l’affaire par l’asso LifeForParis déclarant : « Notre association n'est pas un organe de censure. »

2 Pourquoi Médine est quand même un peu faux-jeton ?

7 questions sur le concert de Médine au Bataclan

Message de Médine le 11 juin 2018

Dans un message adressé aux familles de victimes alors que la polémique éclatait, le rappeur s’est ému des attaques lancées à son encontre en twittant, le lundi 11 juin : « Voilà 15 ans que je combats toutes formes de radicalisme dans mes albums. Un engagement qui me vaut les foudres de l’extrême-droite et de ses sympathisants, qui n’hésitent pas à détourner le sens de mes chansons ; ceux-là même aujourd’hui qui tentent d’instrumentaliser la douleur des victimes et de leur famille. » 

Dans ses textes, Médine fait néanmoins constamment alterner provocation et appel à l’apaisement, diatribes communautaristes et éloge de l’éducation sans que l’on ne sache jamais vraiment où il veut en venir. Le rappeur n’est évidemment pas sans savoir que l’association symbolique des morceaux choisis de ses textes, ou du titre de son album sorti en 2005, Jihad, le plus grand combat est contre soi-même, et du souvenir tragique de la tuerie du Bataclan ne peut pas manquer de faire réagir. Il est vrai que cela tombe assez bien pour conférer une audience plus large à un rappeur « conscientisé », assez peu connu du grand public jusqu’alors. Et puis quand on a toujours rêvé de jouer au Bataclan, qu'importe le flacon tant qu'on a l'ivresse.

3 Pourquoi Médine n'en est pas à sa première polémique ?

7 questions sur le concert de Médine au Bataclan

Médine avait déjà tenté de désamorcer en 2015 la polémique suscité par la sortie de Don’t Laïk, une semaine avant le massacre de Charlie-Hebdo et de l'Hypercacher, en fournissant une explication de texte plus ou moins convaincante : « Crucifions les laïcards comme à Golgotha, c’est clairement un oxymore, dans ce qui est proposé comme image. On ne crucifiait pas les laïcards à Golgotha. Et d’ailleurs, il ne s’agit pas de crucifier à proprement dit les laïcards. Il y a un déroulé d’absurdités, d’oxymores jusqu’à la fin du morceau, qui amène vers l’exorcisme de la laïcité. Et c’est ça qui est le plus important. Parce qu’à la fin, je rappelle que la laïcité est possédée par un certain nombre de gargouilles de la République. » 

On ne crucifiait pas les laïcards à Golgotha parce que les laïcards n’existaient pas, on se contentait d’accrocher à une crus commissa en forme de T les individus condamnés pour des faits qu’on dirait aujourd’hui de « droit commun » (vol, meurtre…) et les agitateurs menaçant l’ordre public, comme un certain Jésus-Christ. Et même si on n’aime pas les « gargouilles de la république » (comme Caroline Fourest à laquelle Médine semble en vouloir particulièrement), proposer, même en chantant, de les crucifier, ce n’est pas très civil. Le parcours et les fréquentations de Médine ne paraissent pas non plus le rattacher vraiment au camp des partisans d’une laïcité réconciliée : Kemi Seba le fait applaudir Médine en 2014 au théâtre de la Main d’Or, fief de Dieudonné ou le rappeur fait l'éloge de Tariq Ramadan, qu’« on ne cesse de diaboliser », selon lui. Médine, victime de la censure et défenseur de la liberté d'expression, est un personnage décidément complexe.

4 Pourquoi les organisateurs du concert ont-ils eux-mêmes une conception de la liberté d'expression à géométrie variable ?

7 questions sur le concert de Médine au Bataclan

Salle de spectacle du Bataclan

En février 2018, Jules Frutos, co-directeur du Bataclan, se confiait au Parisien sur les difficultés rencontrées par la salle depuis sa réouverture mais aussi sur les espoirs qu’il entretenait pour l’avenir de sa salle : « Le nombre de spectacles a baissé de près de 30 % l’an dernier par rapport à une année normale. (…) Et les rappeurs français reviennent, ça non plus ce n’était pas évident. » 

Les rappeurs, dont Médine, que ses textes pourtant assez susceptibles de heurter la sensibilité des rescapés du carnage, voire d’insulter la mémoire des victimes, n’ont pas empêché d’être programmé à une date presque anniversaire des attentats. En novembre 2016 pourtant, à l’occasion du concert de Sting qui marquait la réouverture de la salle, l’organisation du Bataclan n’avait pas hésité à déclarer persona non grata Jessie Hughes, chanteur des Eagles of Death Metal, qui avait estimé dans une interview accordée à une chaîne américaine que l’attaque terroriste avait été préparée de l’intérieur du Bataclan et exprimé des soupçons à l’encontre des vigiles, puis déclaré à Taki’s Magazine qu’il avait « vu des musulmans faire la fête dans la rue pendant l’attentat, en temps réel ». Les allégations de Jesse Hughes visaient directement le personnel du bataclan et l’on peut comprendre la réaction de Jules Frutos qui déclarait à l’époque à l’AFP : « Ils sont venus, je les ai virés, il y a des choses qu’on ne pardonne pas. » Cependant, après la décision de virer Jesse Hughes en 2016 et de programmer Médine en 2018 pourrait laisser penser que la direction du Bataclan a une conception assez sélective de la liberté d'expression et même un sens assez aigu de la faute de goût.

5 Pourquoi l’affaire Médine est-elle un piège médiatique ?

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Charlie Hebdo

Pour ce qui est du coup médiatique, c’est réussi. Presque tous les représentants politiques se sont sentis obligés d'emboîter le pas à Marine Le Pen et Laurent Wauquiez. La députée LREM Aurore Bergé a fustigé sur Twitter une « affiche (qui) est une insulte à ceux qui sont morts au Bataclan », le mouvement du Printemps Républicain, s’est interrogé sur « la responsabilité de la direction de la salle », désignant le Bataclan comme un « lieu de mémoire », dans lequel « la logique purement commerciale ne peut s'imposer », le chef de file du PS Olivier Faure s’est quant à lui demandé si Médine ne devait pas « se poser la question de savoir si sa présence » dans ce lieu « ne justifierait pas une prise de distance. » En quelques jours, la polémique est montée en puissance et a amené les médias à opposer « islamo-caillera » et « fachosphère » dans un débat bien calibré. C’est ce qu’en matière de communication, on pourrait nommer une stratégie de polarisation payante. En termes plus simples on nommera ceci un pot à miel médiatique qui permet de remplir abondamment les colonnes des éditorialistes, au cas où l’actualité pré-coupe du monde ne serait pas assez palpitante. Et de faire aussi beaucoup de publicité gratuite à Médine et au Bataclan.

6 Pourquoi Médine n’est pas Black M ?

7 questions sur le concert de Médine au Bataclan

Black M ou Black Mesrimes, de son vrai nom Alpha Diallo2, né le 27 décembre 1984 à Paris, est un rappeur et chanteur français d'ascendance guinéenne.

« Notre mobilisation a stoppé la venue de Black M à Verdun, levons-nous tous pour faire barrage au concert de Médine au Bataclan », a twitté Julien Odoul, responsable du Rassemblement national dans l’Yonne. Pourtant l’affaire Médine n’est pas l’affaire Black M. 

En mai 2016, la décision d’inviter le rappeur du collectif Sexion d’Assaut, Black M, à participer aux commémorations du déclenchement de la bataille de Verdun (21 février 2016 – 19 décembre 2016), avait suscité une véritable levée de boucliers contre la venue du chanteur qui avait désigné la France comme un « pays de Kouffars » dans son titre Désolé. Nombre de journaux y avaient vu une victoire de la fachosphère à la suite de l'annulation du concert. Le problème pourtant n’était même pas Black M en lui-même. La décision des pouvoirs publics aurait été aussi contestable de faire se produire Phil Collins, La Compagnie Créole, Corbier ou Pink Floyd aurait été tout aussi contestable. 

Verdun est le tombeau de 163 000 soldats français et 143 000 Allemands qui ont trouvé la mort durant l’offensive, 700000 victimes en tout, en comptant les blessés et « gueules cassés » qui peupleront les hôpitaux européens à la suite de la guerre. Il y a des limites à l'esprit festif et quelque chose d’un peu passé de mode qu’on appelle la décence dont les autorités françaises auraient dû faire preuve. Ce dont elles ont eu un peu conscience puisque la mairie de Verdun et l’Elysée n’ont cessé de se renvoyer la balle pour savoir qui avait vraiment eu l’idée d’inviter Black M au départ. Le Bataclan, quant à lui, n’est pas un tombeau, c’est une salle de concert. On peut s’en désoler, comme Nicolas Sirkis, le chanteur d’Indochine qui avait déclaré ne pas comprendre la réouverture, ou s’en féliciter, en louant la capacité de résilience de notre société du spectacle face au terrorisme, il n’en reste que Verdun et le Bataclan, ça n’est pas la même chose. Jules Frutos avait mis d’ailleurs le doigt sur la question, dans l’interview donnée au Parisien, à propos des déclarations de Nicolas Sirkis : « Si je vais jusqu’au bout de la logique de Sirkis, en décidant de rouvrir le Bataclan nous tirerions profit de ce drame ! » Cette question-là en revanche peut se poser dans l’affaire de Médine au Bataclan, dont les deux dates affichent déjà complet.

7 Pourquoi ne pas réclamer l’interdiction du concert de Médine ?

7 questions sur le concert de Médine au Bataclan

Gérard Collomb, ministre de l'intérieur d'Emmanuel Macron

« II appartient au législateur d'opérer la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public sans lequel l'exercice des libertés ne saurait être assuré », nous dit le juriste Pierre Mazeau, vice-président de l'Assemblée nationale, conseiller d'État, et ancien président du conseil constitutionnel. 

En l’occurrence, l’affaire Médine au Bataclan pose des questions d’ordre moral que le législateur n’a pas vocation à trancher, pas plus que l’autorité publique n’a à se substituer à l’artiste, aux organisateurs du concert ou aux spectateurs qui doivent tous normalement se sentir un peu concerné par le fait d’aller brailler « je mets des fatwa sur les têtes de cons ! » sur le lieu même où furent massacrés sans pitié 90 personnes victimes d’une guerre prétendue sainte. 

L’autorité publique a pour charge de préserver l’ordre public et la paix civile pas de déterminer si les gens se comportent en salopards cyniques. Ca, c’est à chacun d’en juger en son for intérieur, en « son tribunal intérieur », comme le disait joliment Jean Paulhan, ex-directeur de la Nouvelle Revue Française. Cependant, les polémiques sont aussi une question de rapport de force et l’ampleur prise par celle-ci pourrait pousser le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb a agir au nom de la protection de l’ordre public comme il l’a déclaré le 14 juin à l’Assemblée Nationale : « Nous ne sommes pas maîtres de la programmation du Bataclan mais, comme vous le savez, tout ce qui peut amener un trouble à l'ordre public peut, dans les limites de la loi, pouvoir trouver une interdiction. » Le message est clair : il y a un moment où le législateur se substitue au débat public et aux questionnements d'ordre moral et ce moment pourrait bien être arrivé.

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