Comment gérer les mensonges dans le couple ?
Sincérité, mensonge, vérité, fidélité, mystère, cachoteries, transparence… Pour tout couple, voilà les cases d’un Jeu de l’Oie quotidien, anodin parfois, mais parfois autrement perturbant. Le mensonge installe des jeux de rôles parfois compliqués entre soi et l’autre. Comment composer avec ces éternelles questions, sans (trop) mettre à mal, autant que possible, la relation ? Et sans nier non plus la légitimité de ses propres émotions ?
Lisa Letessier est psychologue clinicienne, spécialiste des thérapies cognitives et comportementales. Elle pratique, entre autres, l’EMDR, méthode de réparation des traumatismes psychiques très utilisée lorsqu’un patient doit affronter le souvenir de situations vécues douloureuses. Elle est aussi instructrice en « mindfulness », qu’en France on nomme « pleine conscience ». Cette approche vise à travailler une manière d’être « pleinement soi », en relation avec ses propres expériences de vie ; avec ce que nous en percevons, par nos cinq sens ; mais aussi à travers nos sensations corporelles, nos pensées, automatiques ou plus élaborées, en liens avec chaque expérience vécue.
De telles approches font se rencontrer les techniques de la méditation et les plus récentes connaissances issues des neurosciences. Naturellement, elles réclament des thérapeutes solidement formés, et d’une éthique professionnelle inattaquable. Elles trouvent alors une place de plus en plus affirmée dans le champ des thérapies, bien au-delà d’une mode éphémère.
Lisa Letessier fut déjà auteure d’un livre sur la « Rupture amoureuse »
qui connut un réel succès. Elle se penche cet automne, aux éditions Odile Jacob, sur « Le mensonge dans le couple » ; sujet « touchy » s’il en est. Comment s’y confronter, de la dispute sans importance à la grande crise, quand le bateau-couple prend l’eau de toutes parts ? Comment y réagir, soi-même, avec ses propres émotions, ses craintes, ses pensées automatiques ? Comment vivre l’Autre, qu’il soit le menteur - occasionnel ou systématique - ou à l’inverse celui qui subit le mensonge ? Est-il normal de se sentir remis en cause par un mensonge, sans risquer de devenir un soupçonneux, qu’on rebaptiserait très vite « parano » ?
Avouons qu’il y a là une thématique de nature à interpeler tout couple, quels que soient sa nature, l’âge des protagonistes, leurs vécus antérieurs, les relations qu’ils entretenaient avec « leur ex » ou parents. Du petit mensonge sans importance à la découverte brutale, douloureuse, d’un adultère qu’on n’aurait pas imaginé ; des embrouilles autour de l’argent, du travail, des amis, des collègues ; avec ou sans sexe associé… Lisa Letessier aborde toutes ces questions en évitant avec brio les deux écueils qu’un tel sujet pourrait laisser craindre : le traitement superficiel en mode « magazine », un brin racoleur à l’occasion ; ou son inverse, le livre trop théorique, ennuyeux, déconnecté des soucis du lecteur.
Ici rien de tel. En mixant habilement cas clinique (l’histoire de Sophia, que l’on suit en fil rouge), exercices ou questionnaires à faire seul ou à deux, données statistiques, apports de principes savamment exposés et toujours clairs, l’auteure fait le tour de son sujet sans jamais éviter les questions qui fâchent ou font mal. La plupart des livres de conseils psys s’articulent souvent autour de réponses à une de ces deux questions : « Pourquoi » ? Ou « Comment » ? Lisa Letessier propose de n’ignorer ni l’une, ni l’autre, et c’est ce qui rend son ouvrage non seulement pertinent, mais aussi tonique et rassurant.
Comme nous le précisons chaque fois, il n’est pas question ici de « spoiler » ou plagier l’auteure du livre, ni d’en pomper les bonnes feuilles. Mais de pointer 7 clés qui, sans mentir, nous ont interpellé à la lecture.
1 | Mensonges dans le couple : c’est celui qui reçoit qui définit s’il y a mensonge |
« Je ne te l’ai pas dit, donc je ne t’ai pas menti ». Ou encore : « j’ai juste oublié de te dire ». Il y a différentes façons de mentir, indépendamment des raisons qui poussent à le faire, des thématiques elles-mêmes, de la portée du mensonge proprement dit. Mais qu’il soit question de mensonges par omissions, par oubli, de falsification, dissimulation ou négation de faits avérés, il est intéressant de pointer que le destinateur (celui qui communique) n’est pas le mieux placé des deux pour décider s’il y a ou non mensonge.
C’est le destinataire, celui qui ayant ou non reçu l’information, s’est rendu compte qu’il y avait « un petit souci de véracité » (ou un mensonge himalayesque), qui peut l’étiqueter « mensonge », « baratin », « embrouille ». Lisa Letessier donne sa définition : « le mensonge est le fait d’inventer, omettre ou modifier une information factuelle, émotionnelle, cognitive ou comportementale, sans que l’autre en soit informé ». Mais elle précise que chacun de nous peut avoir sa propre définition du mensonge, puisque y sont avant tout en jeu nos émotions.
Et c’est d’ailleurs là que les soucis commencent : nous n’avons pas tous les mêmes critères pour décider, et du mensonge lui-même, et de son degré de gravité. Nous ne nous sentons pas « trahis » de la même façon, ni par les mêmes faits, ni pour les mêmes sujets ; et nos degrés de tolérance varient également, sans doute, selon les circonstances, les contextes, les phases de la vie. Au-delà de toutes ces différences d’appréciation (et vous notez qu’à ce stade nous n’avons pas encore évoqué « LA » question - homme versus femme -), le mensonge existe d’abord parce que quelqu’un l’aura reçu et ressenti comme tel.
2 | Mensonges dans le couple : Hommes et femmes, différents et semblables |
Lorsqu’elle a commencé son projet de livre, Lisa Letessier a adressé à ses contacts un questionnaire, auquel l’auteur de ces lignes croit se souvenir qu’il y répondit. Les résultats ne prétendent nullement à une rigueur statistique (c’est-à-dire fondée sur la représentativité de l’échantillon interrogé, par rapport à la population). Ils donnent des indications, d’où ressortent quelques points intéressants.
Les hommes et les femmes sont également menteurs, même s’ils ne mentent pas forcément sur les mêmes sujets. Les hommes disent qu’ils le font avant tout pour éviter le conflit, éviter de faire de la peine, peur de décevoir. Les femmes disent qu’elles le font plutôt pour protéger leur jardin secret. Ensuite seulement pour protéger l’autre d’une souffrance, ou éviter un conflit.
Les femmes semblent réagir moins bien face au mensonge : 31% ne supportent pas qu’on leur mente, contre 26% des hommes ayant répondu.
Mais hommes et femmes se rejoindraient plutôt pour décider du plus grand critère de gravité d’un mensonge :
1. Mentir sur ses intentions.
2. Cacher une relation suivie…
Ce qui nous conduira évidemment à soulever, derrière l’arbre du mensonge, le spectre de l’horrible… infidélité.
3 | Mensonges dans le couple : Mentir ne serait ni bien ni mal |
Auparavant, notons que les positions les plus radicales sont souvent plus incertaines sur le long terme. Dans le sujet qui nous occupe, on peut considérer que ne mentir jamais sera sans doute aussi dangereux pour un couple, que se mentir tout le temps. Une relation durable a besoin de confiance et de sérénité. La fiabilité de la parole de l’autre, et symétriquement la sienne, sont donc indispensables, s’il s’agit de « construire » quelque chose ensemble. Mais Lisa Letessier cite un psychiatre chevronné affirmant aussi qu’aucun couple ne saurait selon lui se construire sur une transparence totale et absolue. « La vérité à tout prix peut s’avérer aussi perverse qu’un mensonge », confirme notre psy. Elle peut blesser, rabaisser, humilier. La franchise appelle la délicatesse, et la subtilité dans l’art de dire les choses.
De même, se conserver un espace pour soi, le fameux « jardin secret », est la plupart du temps indispensable à l’équilibre émotionnel. Comme toujours, dans l’art de vivre sa vie, c’est donc dans un équilibre entre les excès opposés qu’il faut privilégier. Encore que « rien n’est jamais acquis à l’homme », comme l’a dit le poète. Pas plus qu’à la femme, d’ailleurs.
4 | Mensonges dans le couple : Fidèles ou infidèles… Est-ce grave ? |
On peut mentir sur tous types de sujets. Mais s’il en est un qui dans tout couple demeure sensible, de quelque façon qu’on l’approche, c’est assurément celui de la fidélité sexuelle, du degré de liberté que l’on s’accorde, qu’on accorde ou non à l’autre… En n’oubliant pas qu’entre tenir un discours théorique affirmant des principes ou convictions, et se voir confronté à une situation réelle, à devoir la subir, il peut y avoir un gouffre en termes de ressentis.
Dans nos sociétés prévalent l’hédonisme, la satisfaction de tous les désirs. On conviendra que le « devoir de fidélité », à supposer qu’il existe, puisse être de nos jours plus difficile à tenir, à l’aune de cette quête. Difficile de résister à toutes les tentations. C’est probablement pourquoi les couples se font et se défont ; les divorces sont pratiquement devenus la norme ; la routine et la frustration sont très souvent perçues comme ennemis de l’épanouissement personnel. Le sujet du livre n’est pas tant d’inventorier les moyens d’y répondre, ensemble ou séparément, que d’interroger ce que la confrontation à la découverte d’un mensonge lié à une infidélité, provoque en soi, au plan des émotions ; puis en conséquence, dans la relation du couple.
Certains fonctionnent sur un principe de fusion, la promesse d’une fidélité absolue. D’autres envisagent la liberté de « voir ailleurs » ce qui pourrait s’y passer. Certains envisagent d’aller plus avant, vers ce qu’on nomme désormais « le polyamour ». Les voies de l’épanouissement, du bonheur, vers ce qu’on appellera « eudémonisme » sont donc diverses. Dans l’absolu, les couples partageant les mêmes modes de fonctionnement seraient plus assurés de durer. Mais dans la vie réelle, rien n’est là encore garanti. Quelle que soit la voie qu’un couple décide d’emprunter, nier la réalité de la souffrance chez celui qui la ressentirait, découvrant une infidélité qui lui avait été cachée, n’est pas une option. La douleur ne saurait être niée ou contestée, au seul motif qu’elle entrerait en contradiction avec les tendances en vigueur, ou avec le discours auparavant tenu par la personne.
5 | Mensonges dans le couple : Identifier mon rapport au mensonge |
Il peut sembler paradoxal de devoir se confronter à ses propres réactions face au mensonge, alors que le premier réflexe serait d’incriminer le menteur pour sa « faute ». Mais dès lors qu’on a compris que les choses sont plus complexes, il devient possible de s’interroger sur soi. Quelles situations de mensonges me sont difficiles à accepter ? Insupportables ? Qu’est-ce qu’elles font naître en moi de pensées négatives, de certitudes, de réactions automatiques ?
Toute cette partie du livre devrait être lue stabylo en main, pour bien repérer ses propres fragilités, faiblesses ou failles. Et notamment pour repérer si l’on ne serait pas soi-même pris au piège de schémas trop implacables. Crainte d’être abandonné, besoin de vivre en fusion avec l’autre, méfiance de principes, souvent cousine de la jalousie, sont autant de façons de se surexposer aux effets négatifs d’un mensonge. On se construit avec lui « une histoire » particulière, qui peut conduire à dramatiser ce qui mériterait d’être relativisé, ou examiné sous un angle différent. Sur ces points le livre pose de nombreuses questions. Mais il n’apporte aucune réponse plaquée en mode « Yaka », qui serait forcément vaine, artificielle. Il ouvre à la réflexion, à l’autoévaluation.
6 | Mensonges dans le couple : Oui, il y a bien des partenaires toxiques |
Il y a des tempéraments qui tout de même, posent de sérieux problèmes… D’un côté, les mythomanes. Lisa Letessier constate que le mot a disparu des manuels de psychiatrie, que la pathologie elle-même inspire peu les chercheurs. La réalité n’en demeure pas moins qu’existent bien des menteurs systématiques, permanents, qui s’inventent une vie à laquelle ils finissent par croire, quelque éloignée qu’elle soit de la réalité.
A l’autre extrême, on trouve les paranoïaques, méfiants et suspicieux jusqu’au délire, qui voient le mensonge partout et ne font par principe aucune confiance à l’autre.
Et puis il y a les pervers narcissiques. Eux, veulent nuire. Faire mal est leur plaisir, et par conséquent le mensonge est pour eux une arme de destruction massive.
Dans ces trois cas, un même mot d’ordre s’impose, lorsqu’on a pris conscience du caractère toxique du personnage. Lisa Letessier le résume en deux mots : « Courage, fuyons ». En effet, ces types de partenaires ne changent jamais. Penser qu’on sera suffisamment fort, ou aimant, ou persuasif, pour les faire évoluer, les amener à la raison, relève du pari impossible.
Lire le chapitre consacré à ces partenaires destructeurs nous aura rappelé cette bonne vieille maxime : mieux vaut « seul.e, que mal accompagné.e ». Et attention aussi à la compulsion de répétition : celle qui nous conduit parfois à rechercher inconsciemment un même profil de partenaire, alors qu’on a déjà payé pour souffrir…
7 | Mensonges dans le couple : Apprendre à pardonner |
Supposons que l’autre m’ait menti. Quoi que je fasse, je n’y puis rien changer, lui non plus. Il faut donc affronter une réalité désagréable, et pour cela en passer par plusieurs étapes : celle de l’acceptation, qui consiste à regarder la vérité en face. Puis de chercher à saisir si le couple peut ou non résister, et survivre, à la crise provoquée par le mensonge. Car oui, éventuellement, celui-ci peut sonner le glas de l’histoire elle-même.
Plus souvent, il s’agira de faire le deuil de l’image idéale qu’on se faisait de son couple, pour le considérer avec une lucidité plus grande, peut-être. Une telle démarche peut se faire avec une aide extérieure, de préférence un médiateur neutre, et formé à cet exercice. Il s’agit alors de dépasser la crise pour repartir sur des bases renouvelées. C’est ce que propose un des chapitres du livre de Lisa Letessier. Elle offre à cet égard des exercices à faire seul face à soi-même, ou avec le partenaire, pour trouver les voies d’un renouveau.
De ce point de vue, parce qu’il ne juge jamais mais décrit les situations et les ressentis dans leur diversité et leur complexité, ce livre aide vraiment à « prendre de la hauteur », à « dédramatiser » ce qui peut l’être. C’est là sa vraie promesse : il y a bien une vie possible à deux, après la découverte du mensonge. Pour autant qu’on sache s’en donner les moyens…
8 | 7+ A vous de jouer ! |
Le livre propose 30 exercices à faire… On s’est dit que vous aimeriez peut-être en savoir plus ? Voilà leurs intitulés.
Exercice 1. Je mets des mots sur ce qui se passe
Exercice 2. J'identifie de quelle façon on m'a menti
Exercice 3. Je m'observe sur trois jours et j'identifie de quelle façon je mens
Exercice 4. Je précise ce que j'ai subi
Exercice 5. Les mensonges de ma vie amoureuse
Exercice 6. Accueillir ses émotions
Exercice 7. Les émotions de l'autre
Exercice 8. Pourquoi m'a-t-on menti ?
Exercice 9. Que faire si je souffre d'un schéma de fusion ?
Exercice 10. Mon jardin secret
Exercice 11. Le récit de mon couple
Exercice 12. Les 15 facteurs de stress dans le couple
Exercice 13. Qu'est-ce que je renvoie comme image ?
Exercice 14. Je classe mes mensonges
Exercice 15. Je retrace mon histoire du mensonge
Exercice 16. Que faire si je souffre d'un schéma de méfiance ?
Exercice 17. Que faire si je souffre d'un schéma d'abandon ?
Exercice 18. Que faire si j'ai un besoin de contrôle ?
Exercice 19. L'exercice de l'océan
Exercice 20. Je retrace son histoire de mensonge
Exercice 21. L'espace de parole contrôlé
Exercice 22. Le tableau d'auto-observation
Exercice 23. Un petit peu de douceur
Exercice 24. Je travaille mes pensées, mes comportements et mes émotions
Exercice 25. Qu'est-ce qui m'empêche de pardonner ?
Exercice 26. La méditation du pardon
Exercice 27. La méditation de l'amour bienveillant
Exercice 28. La lettre de pardon
Exercice 29. Je hiérarchise mes situations anxiogènes
Exercice 30. La résolution de problèmes
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