Foires aux Vins 2019 : 7 questions à Emmanuel Delmas, e-sommelier

Emmanuel Delmas : Alors soyons précis, si tu veux bien. Pour ce qui est du millésime lui-même, il faut être patient, les vendanges ne sont pas terminées. La météo a été très compliquée, on a connu tant de changements de températures, fortes chaleurs, gels, et grêle... tout ce qui peut tracasser nos vignerons : le jardinier de la vigne reste un agriculteur, il demeure dépendant de ces tracas. Il est donc bien trop tôt pour évaluer la qualité de ce millésime.

En revanche si ta question concerne les Foires aux Vins qui démarrent ces jours-ci, elles proposeront différents millésimes selon les régions et appellations. Et là, je crois qu’on peut faire de bonnes acquisitions en regardant attentivement les 2015 et 2016.

Emmanuel Delmas : Je te résume ma philosophie : quand on souhaite s’offrir du vin, soit pour « encaver », soit dans le simple but de la partager à terme, LA chose essentielle, c’est l’effet WAHOU ! Ou Woaw, si vous préférez : « Woaw que c’est bon !». Si vous ne ressentez pas cet enthousiasme, changez de crémerie ! Je sais par expérience que cette sensation reste trop rare autour de nous. Pourquoi ? 

Parce que justement…la première erreur fondamentale que font les gens, par facilité... c’est de se rendre en Grande Distribution pour s’offrir du vin, remplir le (c) Caddie. Et croire, quand on n’y connait rien ou très peu, qu’il sera possible, par hasard, de tomber sur les rares bonnes bouteilles qui s’y trouvent, est une pure illusion. Voilà la première erreur ! 

Pour t’offrir une bonne viande, où vas-tu ? Chez le bon boucher ! Le bon pain ? Chez un bon boulanger ! Alors, où acheter un bon vin ? Chez un véritable caviste indépendant ! Dans le vin, comme partout ailleurs, seul compte le bon sens, dans un monde baigné dans le non-sens. Remettons donc les choses à leur bonne place, afin de retrouver l’essentiel: le plaisir!

Autre erreur, quand les gens vont en grande surface, ils n’achètent pas un vin ! Ni même du jambon, ou du fromage...ils achètent... un prix ! Un joli vin ne peut pas coûter moins de 5€, un vin WAOW, davantage 8/10€ minimum. Et à ce prix-là oubliez les appellations connues, osez les appellations méconnues. Il faut bien comprendre que seuls 20/25% des vignerons savent élaborer de bons vins. Mais ils sont partout en France, dans toutes les appellations...Soyez donc curieux ! 

Enfin, ne vous laissez pas berner par la sélection de l’enseigne, ou les médailles, elles n’ont aucune valeur, ou si peu... Sachez qu’aucun professionnel sérieux du vin ne prend en compte la médaille comme critère de sélection. À l’inverse de la Grande Distribution. Normal, sans conseil il faut offrir des repères au consommateur...Fuyez donc ces médailles, vous valez mieux que cela, chers lecteurs !

Emmanuel Delmas : Pour moi, la notion de millésime est secondaire. Tous les vins proposés par de bons vignerons sont bons, et ce sur tous les millésimes. Attachez-vous à cibler le talent du vigneron, plus que la réputation du millésime ou de l’appellation. Bien sûr, cela réclame des recherches, de la curiosité, du temps... Mais c’est le prix à payer pour dénicher les beaux vins à prix doux. Il n’y a pas assez de bons vins pour tout le monde, ceux-ci se méritent donc, et cela n’a rien à voir avec le prix... Finalement, c’est rassurant, non?

Question : tu dis « en Grande Distribution, on achète un prix » : mais ceux qui souhaitent s’y rendre ne doivent évidemment pas jauger les tarifs indépendamment des provenances et appellations…  ne sera évidemment pas le même selon la qualité. Ciblons en 5 :

1) Un vin rouge de loire ?

Emmanuel Delmas : Un chinon à moins de 5,50€, c’est impossible...si vous en trouvez…  fuyez ! 

2) Un cru bourgeois de bordeaux ?

Emmanuel Delmas : à partir de 8€ on peut en trouver de convenables.

3) Un bourgogne type côte de Beaune ? 

Emmanuel Delmas : Difficile de trouver un convenable à moins de 15€

4) Un vin du Rhône, mettons… Un Saint Joseph ?

Emmanuel Delmas : Pareil, comptez au minimum 14€

5) Et un bon Languedoc, type Pic Saint Loup ?

Emmanuel Delmas : À partir de 9€.

En dessous, vous avez affaire à des vignerons qui n’ont de vignerons que le nom. Un vigneron sérieux est un jardinier de la vigne, qui passe plusieurs heures chaque jour dans ses vignes. Il utilise fort peu, voire pas du tout de pesticides, et jamais d’intrants ou d’adjuvants. Il fait en sorte de soigner au mieux ses vignes, naturellement. Il va prendre des risques afin de récolter des raisins parfaitement mûrs. Il met ses tripes sur la table, et ses vins offrent du jus, une énergie, des saveurs...qui vont vous donner ce fameux effet WAOW.  Leurs vins ont la « gueule » du lieu. On y ressent le climat, le type de sol, la végétation, tout ce qui entoure les vignes parvient à s’exprimer dans leurs vins. Et tout cela, toute cette exigence, ça a un coût…

En dessous de ces prix, comme un peu partout en Grande Distribution, on a affaire à des viticulteurs, coopératives et autres qui, pour parvenir à produire à moindres coûts, délaissent leurs vignes, récoltent des raisins pas mûrs, et leurs vins sont effectivement « verts, fades, insipides ». Sans intérêt…! Nous avons affaire ici à des vins « aménagés » afin de séduire le goût de consommateurs qui n’y connaissent rien. Pas de jus, pas de tanins, des vins cours en bouche, fades...c’est le prix à payer pour avoir des vins pas chers. N’oubliez pas, vous achetez non pas un produit en grande distribution mais un prix! Mais l’erreur coûte cher…

Tout cela n’est qu’affaire de bon sens. La preuve ? Aucun professionnel et passionné de vin n’achète son vin en Grande Distribution ou chez Nicolas. Pour quelles raisons à votre avis ? ,-) (Les Caves Nicolas c’est la grande distribution du vin, déguisée en caviste...je le dis souvent, tant ça me parait vrai : Nicolas est aux vins ce que Paul est à la boulangerie !

Emmanuel Delmas : Chez de vrais cavistes indépendants ou chez les vignerons, parfois dans quelques rares magasins de Grande Distribution, on peut trouver de jolis vins. Saint Pourçain blanc ou rouge, Mondeuse de Savoie et Roussette de Savoie, Muscadet, Picpoul de Pinet, Limoux. Et tant d’autres vins à travers le France, comme Fronton, ou encore les Côtes Roannaises...à partir de 6€ pour ces vins, minimum. Mais encore une fois n’achetez que chez les bons vignerons. Le seul petit problème, ils ont assez peu de vins à vendre! Normal : comme c’est bon, les initiés se battent pour avoir la possibilité d’en acheter! 

Je vais te faire une confidence, Hervé, le jour où je ne prendrai plus de plaisir à boire ces jolis petits vins de bons vignerons, alors j’arrêterai le métier ! Finir aigri, ce n’est pas envisageable...oui je déguste de très grands vins régulièrement grâce à mes clients, mais moi, j’aime ressentir de l’émotion en buvant ces vins accessibles engendrés par des vignerons passionnés, touchants. J’achète rarement un vin à plus de 30€. Ma fourchette se situe entre 14 et 22€.

Question: on dit souvent que les vins blancs se prêtent moins au vieillissement, et sont de ce fait plus délicats à choisir. Qu'en penses-tu?

Emmanuel Delmas : Ah mais non Hervé, les vins blancs peuvent se conserver admirablement! Je parle là encore que des bons vins, même à prix doux, de bons vignerons achetés chez les cavistes...en Grande Distribution, tu as compris que c’était plus compliqué tant les vins sont décevants, et rarement impulsés par de bons vignerons qui n’ont de toute façon trop peu de vins disponibles. Les vins rouges ont du tanin, qui leur permet de vieillir. Mais le vin blanc s’il n’en a pas, contient plus d’acidité. Qui permet de vieillir superbement! La preuve ? Quand tu as un champignon blanc, pour ne pas qu’il noircisse ou s’oxyde, que fais-tu ? Tu mets du citron ! 

Muscadet, Chablis, Sancerre, Touraine blanc Sauvignon, peuvent vieillir 10 ans sans problème! Sous un climat frais, les vins sont plus affûtés, acides...donc on les garde aisément! Comme le Champagne! Qui contient en plus des bulles, autre élément qui permet au vin de les vieillir.

Emmanuel Delmas : Le bio n’est qu’un label, ce n’est pas une garantie. Cependant, un sol vivant, donnera naturellement de bien meilleurs vins qu’un sol détruit par les pesticides, mort, inerte. Ainsi, il est impensable de croire qu’un vin né d’un sol laminé, sans vie, puisse engendrer un vin de qualité...là encore ce n’est qu’affaire de bon sens. Ce qui est certain, c’est que les meilleurs vins, les grands vins, ceux qui donnent cette fameuse émotion peuvent être bio, ou tout du moins ne se sont jamais écarté du bio, sans pour autant le revendiquer. Prends  « La Romanée Conti », vin de Bourgogne le plus prestigieux et le plus cher au monde : il est cultivé en biodynamie depuis près de 50 ans …