7 contes de notre ENFANCE à réécrire d’urgence
Derrière les carrosses dorés et les robes qui brillent, certains contes de fées ont transmis des stéréotypes sexistes pendant des générations. Voici 7 classiques à réinventer, pour enfin croire aux fées… mais pas aux clichés.
Un jour, une maman m’a dit via mon compte Instagram : « Ma fille veut être Cendrillon. Je ne vais quand même pas lui parler de patriarcat à 5 ans, si ? »
On a parfois l’impression qu’interroger le rôle des princesses dans l’imaginaire des enfants, c’est leur voler un peu de magie. C’est vrai que c’est rassurant, les contes. Les gentilles filles ont une fin qui paraît heureuse, les vilains sont punis, et tout le monde rentre dans des cases très claires : beau/belle ou moche, fort ou fragile, sage ou puni.e.
Mais si nos enfants ne rentrent pas dans ces cases ? Ou si ces cases les enferment ?
Spoiler : elles les enferment.
Alors aujourd’hui, parlons de réécriture. Non pas pour jeter les contes classiques aux orties — ils continueront de peupler l’univers des enfants, et c’est bien ainsi. Mais pour apprendre à les lire autrement. Pour les accompagner, avec bienveillance, dans la découverte de ces récits anciens qui méritent parfois un bon dépoussiérage. Parce qu’on peut garder la magie… tout en la rendant moins sexiste.
| 1 | La Belle au bois dormant : le non-consentement le plus célèbre du monde |
Le problème commence dès le titre : une femme qui dort pendant cent ans et qu’on vient réveiller d’un baiser non consenti. C’est censé être romantique. Pourtant la princesse n’a rien demandé. Elle n’a pas donné son avis. Elle ne sait même pas qui est ce type.
Ce conte est une leçon grandeur nature de passivité féminine : la princesse ne parle pas, ne choisit rien, subit tout. Même le moment-clé de l’histoire — son réveil — ne vient pas d’elle.
À réécrire : une héroïne qui se réveille elle-même. Peut-être qu’elle apprend à maîtriser la magie du sommeil, ou qu’elle comprend que sa "malédiction" est en réalité un pouvoir à apprivoiser. Et le prince ? Il peut toujours être là, mais leur couple n’est pas une nécessité. Ou si les personnages s’aiment, cette fois, c’est elle qui décide si elle l’embrasse — ou pas.
Alternative de lecture : Brune-Feuille : Le prince se marie et autres contes inclusifs, de Lilla Bölecz, chez Talents Hauts. Un recueil proposant 17 contes traditionnels revisités avec une belle diversité de genres, d’orientations, de formats familiaux. Dès 6 ans.
| 2 | Blanche-Neige : un tutoriel de compétition féminine version Disney |
Sept hommes, une femme, et une belle-mère obsédée par la jeunesse de sa belle-fille : ce conte ressemble étrangement à un concours de Miss dans une colocation avec des ados. On apprend à Blanche-Neige à être douce, discrète, ménagère. Et pendant ce temps, la reine vieillit, s’inquiète, et tente de tuer sa rivale plus jeune.
En résulte un conte somme toute assez toxique sur la peur de vieillir, la rivalité féminine, et la beauté comme “valeur féminine”. N’allez surtout pas regarder la version filmée 2025 de Blanche Neige signée Disney, qui se noie dans les clichés initiaux du conte.
À réécrire : deux femmes qui refusent d’entrer en guerre. Et si Blanche-Neige et la reine s’unissaient pour briser le miroir patriarcal ? On pourrait même en faire une fable sur la sororité transgénérationnelle : la beauté comme valeur morale héritée de belle-mère en belle-fille, qu’importe les liens du sang.
Alternative de lecture : Blanche Neige et les 77 nains, de Davide Cali, illustré par Raphaëlle Barbanègre, toujours chez Talents Hauts. Ok, s’occuper de 7 personnes, ça peut rester gérable, mais que devient Blanche-Neige si on passe 77 hommes à materner ? Une petite histoire pour montrer l’absurdité de la répartition des tâches dans le conte originel, et pour inviter à mieux répartir le travail domestique.
| 3 | Cendrillon : l’apologie de la soumission récompensée |
Cendrillon, c’est l’archétype de la “bonne fille”. Celle qui souffre en silence, nettoie les cendres en souriant, ne se met jamais en colère malgré les humiliations, et attend patiemment que la magie vienne la sauver. Elle ne proteste pas, elle endure. Et c’est justement ce qui est valorisé : sa soumission, sa patience, son obéissance.
Ce que le conte récompense, ce n’est pas le courage, ni l’intelligence, ni même la rébellion : c’est la docilité. Et pour peu qu’on naisse avec une pointure 36 et un visage photogénique, hop, le mariage royal vient comme conclusion logique. Pas besoin de parler, ni de se défendre : il suffit d’être choisie.
Et ce “choix” n’est même pas vraiment un choix. Le prince ne connaît ni son prénom, ni ses idées, ni ses goûts : il tombe amoureux d’une apparition silencieuse, bien habillée, qui danse bien et sent bon. L'amour ici est un coup de foudre purement esthétique, une récompense pour une beauté standardisée et un comportement exemplaire. On a vu plus inspirant comme relation.
Quant à la contrainte de minuit, elle illustre à merveille cette règle implicite des contes classiques : la liberté des filles est toujours conditionnelle. Tu peux t’amuser, mais pas trop. Tu peux être admirée, mais pas maîtresse de ton destin. Tu peux rêver, mais à condition de ne pas oublier ta place. Et gare à toi si tu rentres en retard…
À réécrire : Imagine une Cendrillon qui dit non. Non aux tâches ménagères imposées, non à la maltraitance familiale, non à l’idée que son avenir passe forcément par une belle robe et une valse avec un inconnu. Une Cendrillon qui ne veut pas “se faire choisir” mais choisir elle-même : sa tenue, sa vie, son entourage. Une Cendrillon qui va au bal pour danser, pas pour séduire. Qui ne perd pas sa chaussure, mais qui s’en va exprès, sans se retourner. Et surtout, une Cendrillon qui comprend que la magie, c’est peut-être d’abord de se libérer de ce qu’on croyait devoir accepter.
Alternative de lecture : Cendrillon et la pantoufle velue de Davide Cali et Raphaëlle Barbanègre (Talents Hauts). Ça ne casse pas tous les codes sexistes, mais Cendrillon ne tombe pas amoureuse d’un prince inconnu, bon point, et s’émancipe par ses propres moyens, très bon point.
| 4 | Le Petit Chaperon rouge : la leçon anxiogène du monde dangereux |
Derrière sa cape rouge, son panier et sa galette, le Petit Chaperon rouge ne parle pas seulement de grand-mère malade. C’est un récit de mise en garde, une leçon de prudence répétée à l’infini : ne parle pas aux inconnus, reste sur le droit chemin, et surtout, méfie-toi des loups.
Sauf qu’ici, le loup n’est pas un simple animal affamé. Il est la figure archétypale du prédateur masculin, séducteur, manipulateur, menteur et violeur, au cas où la métaphore vous aurait échappée. Et la petite fille, elle, est décrite comme naïve, désobéissante, et donc responsable de ce qui lui arrive.
Dans certaines versions anciennes (notamment celle de Perrault), il n’y a ni sauvetage, ni happy end. La fillette se fait dévorer, et basta. Moralité : « Les jeunes filles jolies font très mal d’écouter toutes sortes de gens. » On est à deux doigts du « elle l’a un peu cherché ».
Et on raconte ça, tranquille, à des enfants dès 4 ans.
Ce n’est ni plus ni moins que de la culture du viol : un système culturel qui enseigne aux filles la peur, la prudence, l’auto-surveillance, plutôt que d’expliquer aux garçons le respect et les limites. Et si le danger existe, bien sûr, à force de le représenter sous les traits d’un loup (et jamais d’un copain, d’un oncle, d’un voisin), on passe à côté du vrai problème.
Et que dire du rôle du bûcheron, figure virile et salvatrice, qui surgit à la fin dans la version Grimm ? Il vient littéralement ouvrir le ventre du loup, rendre justice, et restaurer l’ordre. Le message : sans un homme fort, les femmes (petites et grandes) sont perdues.
À réécrire : une version où le Petit Chaperon rouge se méfie parce qu’elle est maline, pas parce qu’on lui a dit de le faire. Où elle maîtrise des techniques d’auto-défense. Une version où elle démasque le loup par elle-même, ou même… où le loup n’est pas forcément dangereux. Et si on s’interrogeait aussi sur ce que ressent le loup ? Quelles sont les émotions d’un loup esseulé ? Et s’il les exprime, est-il toujours dangereux ? On peut parler du danger, mais sans essentialiser les rôles.
Alternative de lecture : La petite rouge courroux, de Raphaële Frier & Victoria Dorche (Sarbacane), une version féministe engagée du Petit Chaperon Rouge, où la jeune héroïne, rouge de colère, clame un NON ferme au loup, et pas qu’à lui, et refuse les rôles traditionnels de la “fille obéissante”.
| 5 | La Petite Sirène : perdre sa voix pour gagner l’amour |
Sous l’écume et les paillettes, La Petite Sirène est l’histoire d’un renoncement total. L’enfant échange sa voix — littéralement — contre une paire de jambes, dans l’espoir de séduire un homme qu’elle ne connaît que de vue. Pas une métaphore très subtile : se taire pour se faire aimer. Et ce n’est pas tout : elle quitte son monde, sa famille, sa culture, elle souffre à chacun de ses pas, elle devient muette… Tout ça pour avoir une chance, une toute petite chance, d’être choisie. Autrement dit : plus tu t’effaces, plus tu as de valeur.
Dans la version originale de Hans Christian Andersen, c’est encore pire : le prince en épouse une autre, et la sirène meurt, littéralement dissoute en écume. Une conclusion tragique, souvent oubliée, mais symboliquement lourde : le désir féminin conduit à la disparition de soi.
Pourtant, si on gratte un peu les écailles, on découvre un sous-texte complexe. Hans Christian Andersen a écrit ce conte après un chagrin d’amour pour un homme, Edvard Collin, qui l’a repoussé. Dans ce contexte, la Petite Sirène devient le miroir de l’auteur lui-même. Un être marginalisé, qui aime sans espoir de retour, qui s’oublie et renie son homosexualité (ou sa bisexualité) pour tenter d’appartenir à un monde hétéronormé qui ne veut pas de lui. Et qui finit par disparaître sans jamais avoir été entendu.
Une métaphore puissante du désir homosexuel refoulé, du prix à payer pour tenter de se conformer, et du silence imposé à celles et ceux qui ne rentrent pas dans les normes.
À réécrire : une sirène qui s’aventure sur terre par curiosité, par goût de l’inconnu. Qui garde sa voix, et s’en sert. Qui rencontre un humain, peut-être, mais sans se dissoudre pour lui plaire. Qui tombe amoureuse d’une humaine, peut-être. Hans Christian Andersen ne nous en voudrait probablement pas.
Alternative de lecture : La sirène spectentaculaire, de Géraldine Bobinet, chez Fleurus. Ce n’est pas à proprement parler une réécriture du conte, mais ça parle d’une sirène confrontée à une relation amoureuse toxique. Le tout dans un petit roman pour enfant dès 9 ans, bien pensé, et très inclusif.
| 6 | Peau d’âne : un père incestueux et une morale étouffée |
On la classe parmi les “classiques”, on la lit parfois dans des versions édulcorées, mais Peau d’Âne reste l’un des contes les plus glaçants du patrimoine. Un roi veut épouser sa propre fill, littéralement ! Parce qu’il a promis à sa femme mourante de n’épouser qu’une femme aussi belle qu’elle, la voilà, elle, désignée.
La jeune fille tente de fuir jusqu’à se cacher sous une peau d’âne. Jusqu’à ce qu’un prince la sauve. Fin heureuse, paraît-il.
Mais comment appeler “conte de fées” une histoire où l’inceste est à peine nommé ? Où la parole de la victime est absente (comme dans bien des contes) Où la solution consiste à se taire, se salir, se cacher, avant de redevenir présentable pour un autre homme ?
On parle ici d’un crime, d’un traumatisme réel chez de vraies personnes. Et pourtant, le conte est souvent raconté sans explication aux enfants.
À réécrire : une Peau d’Âne qui explique la différence entre les bons et les mauvais secrets, qui n’est pas forcée à suivre, qui trouve du soutien, des mots, et des allié·es. Un récit où la honte change de camp, où l’agresseur est désigné, où la réparation ne passe pas par l’amour romantique, mais par la reconstruction.
Alternative de lecture : 1, 2, 3 secrets de Samboyy, chez Petit Leduc. Ni une réécriture, ni un conte, mais un livre rare parce qu’il permet d’évoquer avec les enfants la différence entre les bonnes choses qu’on cache et les mauvais secrets qui blessent.
| 7 | La Belle et la Bête : aimer son bourreau, l’excuser, et le faire évoluer |
Voilà un conte souvent perçu comme un modèle d’amour romantique. Et pourtant, La Belle et la Bête coche toutes les cases d’une relation toxique. Belle est échangée contre la liberté de son père. Elle est ensuite enfermée dans un château par une créature qui l’isole, contrôle son environnement, impose sa présence.
Et le message implicite ? Si elle est assez douce, patiente et gentille, elle découvrira qu’au fond, c’est un homme bien. Qu’elle saura “voir au-delà des apparences”, traduisez : excuser la violence en y cherchant une fragilité cachée. C’est la rhétorique bien connue de la “belle âme” qui va “guérir” un homme brisé, même s’il l’enferme, la fait pleurer, et lui refuse toute liberté.
On appelle ça une pédagogie de l’emprise affective.
Ce récit enseigne que l’amour des femmes est réparateur par nature. Qu’il suffit d’aimer assez fort pour transformer un agresseur en prince charmant. Or, dans la vraie vie, les femmes qui restent avec des hommes violents en espérant qu’ils changent grâce à leur amour ne vivent pas un conte de fées. Parfois, elles y laissent beaucoup plus que leur liberté.
À réécrire : une Belle qui refuse d’aimer sous la contrainte, qui ne voit pas la captivité comme une preuve d’amour, ni la violence comme le signe d’une blessure à soigner. Une Bête qui évolue seule, sans exiger de réconfort de la part d’une femme, sans poser de conditions à sa transformation. Et surtout : une histoire où la gentillesse féminine n’est plus le médicament universel aux violences masculines.
Alternative : Une version à découvrir par un public averti : le podcast « Il serait une fois », épisode La Belle et la Bête (RTBF) de Florence Mendez. Une version foncièrement féministe, qui interroge jusqu’au prénom, “Belle”, de l’héroïne. Belle est anticonformiste, étudiante, rappeuse. Elle est violée par ce “con” de Gaston et se reconstruit en trouvant sa force dans son talent.

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