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Après le Brexit, le Français pourrait-il devenir la langue officielle de l’Europe ?

Décrypter Par Hervé Resse 10 février 2021

Après le Brexit, le Français pourrait-il devenir la langue officielle de l’Europe ?
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Le Brexit change-t-il, peut-il changer, le choix de la ou les langue(s) officielle(s) de l’Union Européenne ?... Ou pas ? Faisons le point. En 7 questions, naturellement !

Rappel des épisodes précédents : le 23 juin 2016, le peuple britannique, d’une courte majorité (51,89%) décidait par référendum d’enclencher une longue et fastidieuse procédure de rupture avec l’Union Européenne. Elle l’avait rejointe en 1973, pour quatre décennies d’une relation dirons-nous contrastée. Pour ne pas dire agitée, parfois.

Presque cinq années durant, nous aurons dès lors suivi les méandres du fameux Brexit, dont l’échéance fut plusieurs fois repoussée. Annoncée au 31 janvier 2020, et suivie d’une période de transition de 11 mois, la vraie rupture, concrète et réelle, entre le Royaume Uni de sa Très Gracieuse Majesté Elisabeth II (*) et l’Union Européenne est devenue effective ce 1er janvier 2021.

* ou Elizabeth, comme vous voulez. Les deux orthographes sont acceptées

Les conséquences de ce divorce seront bien entendu nombreuses. Certaines nous sont encore méconnues, probablement. Mais à court, moyen ou long terme, quel impact ce départ va-t-il avoir sur les modalités de communication entre les 27 pays qui demeurent membres de l’UE ? Et singulièrement, en quelle langue les partenaires doivent-ils désormais se parler ? Quel sens faut-il d’ailleurs donner à cette question ? Le français peut-il en sortir renforcé, grandi ?

1 Qu’est-ce qu’une "langue officielle" ?

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Ce qualificatif « d’officiel » accolé à la langue, est comme on va le voir assez différemment compris ou utilisé. Si les mots ont un sens, une langue officielle est spécifiquement désignée comme telle, dans la constitution ou les textes de loi d'un pays, d'un État ou d'une organisation quelconque. La langue officielle s'impose à tous ses services officiels : organes de gouvernement, administrations, tribunaux, registres publics, documents administratifs ...

On va voir que certains États s’en reconnaissent plusieurs. Mais gardons bien en tête ceci : qu’une langue soit majoritairement parlée dans les faits sur un territoire ou une institution, ne lui accorde pas nécessairement une prééminence au plan du statut.

2 Combien existe-t-il de Langues Officielles au sein de la Communauté européenne ?

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Faisons-le si vous voulez comme à « Qui veut gagner des Millions » ?

Voici 4 possibilités : combien l’Union Européenne comptait-elle de langues officielles jusqu’au Brexit ? 

- Réponse A : une langue officielle (… L’anglais, pourquoi pas ?)

- Réponse B : deux langues officielles (L’anglais… Et le français, comme aux Jeux Olympiques ?)

- Réponse C : trois langues officielles (les deux précédentes… plus l’Allemand, autre pays fondateur et acteur majeur de l’UE ?)

- Réponse D : aucune langue officielle.

La réponse n’est en fait aucune de celles-là, même si « D » pourrait être considérée comme « la moins fausse ». En effet, toutes les langues pratiquées en Europe en ayant valeur de langue nationale, sont reconnues comme officielles. La vraie réponse est donc : 24. Mais aucune ne l’est officiellement plus que les autres. En revanche, les langues régionales même celles reconnues nationalement comme par exemple le catalan ou le basque en Espagne, n’ont pas accès à ce statut. On verra plus loin que la réponse C n’est pas totalement fausse non plus.

3 Quelles sont les 24 langues pratiquées en Europe et reconnues par l’U.E. ?

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Dans leur ordre d’arrivée au sein de la grande Communauté, sont donc reconnues comme langues officielles : l’allemand, le français, l’italien, le néerlandais, depuis 1958. Successivement rejoints par le danois et l’anglais (1973) ; le grec (1981) ; l’espagnol et le portugais (1986) ; le finnois (Finlande) et le suédois (1995) ; l’estonien, le hongrois, le letton, le lituanien, le maltais, le polonais, le slovaque, le slovène et le tchèque (avec l’élargissement de 2004) ; le bulgare, l’irlandais et le roumain (2007) ; et enfin le croate en 2013.

Le Brexit ne retire donc pas l’anglais de cette liste de langues officielles, puisqu’il est reconnu comme tel en Irlande et à Malte, pays tous deux bilingues. Toutefois, la langue de Shakespeare n’est plus langue officielle que pour 1% des européens. Même si on le verra, elle reste la plus utilisée.

Bilinguiste, la Belgique l’est également (français et néerlandais). Le Grand-Duché du Luxembourg se reconnait, lui, trois langues : français et allemand, ainsi que la langue locale qu’est le luxembourgeois, qui n’a pas de reconnaissance officielle au plan européen.

4 Pourquoi 24 langues officielles en Europe et pas Une seule ?

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On n’a certes pas choisi la solution la plus simple. Mais la diversité linguistique est inscrite à l'article 22 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi qu’à l'article 3 du traité sur l'Union européenne, rappelle le site touteleurope.eu.

On y « respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique ». On y veille « à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen ».

Ainsi, tout citoyen européen doit pouvoir accéder à tout document de l'UE dans la langue officielle choisie par son pays au niveau européen. Soit à ce jour les 24 précitées. Il doit pouvoir écrire aux institutions et recevoir une réponse dans cette même langue.

On imagine le nombre considérable d'interprètes et traducteurs qui sont associés à cette mission. En 2016, rien qu'à la Commission européenne, le site touteleurope.eu précise que travaillaient 1 750 linguistes et 600 assistants, appuyés par 600 interprètes à temps plein et 3 000 interprètes freelances.

5 Après le Brexit, l’Anglais reste-t-il la langue la plus utilisée ?

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Naturellement, travailler à bâtir une Europe plus cohérente et efficace (on peut rêver, commenteront les grincheux) exige plus et mieux de communication qu’en la biblique et mythique Tour de Babel ! Le mythe rapporte que l’ambitieux projet d’une Tour s’élevant jusqu’au ciel (trône de Dieu) s’effondra car les hommes n’y parlaient plus une seule et même langue.

Il y a en réalité trois langues de travail, également appelées « procédurales » utilisées dans la Commission européenne et les institutions de l'Union. Ce sont assez logiquement l'anglais, le français et l'allemand, comme le suggérait la réponse C de notre question. En effet, membre de l’UE ou pas, la Perfide Albion, comme on disait jadis, peut s’enorgueillir de pratiquer la langue la plus parlée dans le monde. Avec plus d’un milliard et cent millions de locuteurs. Cela signifie aussi que 75% des terriens ne la pratiquent pas. Le verre est vide au ¾ ! N’importe, l’anglais reste la langue de la globalisation, et celle du commerce.

Elle a valeur de langue officielle pour 67 pays. Elle est de loin la plus étudiée en Europe (par 97% des élèves de l’UE), devant le français (35%).

Pour autant, rapportée au nombre de citoyens, la langue allemande est celle du plus grand nombre d’Européens (79 millions d’habitants).

6 De l’Anglais après le BREXIT : du paradoxe à la polémique ?

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De tout ce qui précède, le Brexit aboutit à un sérieux paradoxe, que souligne avec d’autres l’écrivain italien Camillo Langone.

Dans une tribune que publiait en janvier 2021 le quotidien romain Il Foglio, évoquée et traduite en français par Marianne, l’écrivain s’interrogeait : « comment pouvons-nous nous faire passer pour des Européens, si nous parlons la langue de ceux qui ne veulent pas faire partie de l’Europe ? Soyons au contraire plus intelligents et parlons celle des grands intellectuels de notre époque !»

D’un paradoxe, on glisse assez aisément vers la polémique. Ainsi quand le quotidien en ligne la Tribune, titre en ce 11 janvier 2021 : « Après le Brexit, l’anglais ne peut plus être la langue officielle de l’UE ». En effet ! Et d’autant plus, on l’a vu, qu’elle ne l’est pas. En tous cas pas plus que les 23 autres, et l’affirmer n’est pas jouer sur les mots.

En revanche, on peut s’accorder avec l’éditorialiste « que l’anglais, qui rappelons-le n'est pas la langue maternelle de l'Union Européenne, a en fait totalement colonisé, à son profit politique, diplomatique, institutionnel, régulatoire et financier, l'identité et le fonctionnement linguistique de l'Union ».  Et il enfonce le clou « Du vrai hard power... au cœur de l'Union ! » Alors : que faire ?

7 Le Français peut-il devenir LA Langue Officielle de l’UE ?

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Certains se prennent alors à imaginer une vraie révolution: que le français s’impose à l’avenir comme seule langue officielle. Écoutons Camillo Langlone, déjà cité : il affirme que « l’étymologie et l’histoire nous ont appris que le français doit être la langue officielle du Vieux Continent ». Le français n’est pas seulement langue officielle des Jeux Olympiques, elle est l'une des deux langues de travail de l’ONU (et une de ses six langues officielles) ainsi que de la Croix Rouge, ou de bien d’autres organisations gouvernementales.

Pour autant, la recommandation de Camillo Langlone est assez peu suivie dans son pays. Et elle a peu de chances de séduire au-delà. Abandonner l’anglais pourrait passer pour revanchard ou mesquin, une vengeance post-Brexit peu glorieuse. Ce serait plus encore perçu comme un retour en arrière, dès lors que les usages en ont fait la langue la plus répandue sur le vaste territoire européen. Un député italien suggère de « séparer l’anglais des anglais ». Et de s’en tenir là.

Le combat serait d’autant plus incertain que les décisions sur ces questions doivent se prendre à l’unanimité des 27 membres, en vertu de l'article 342 du Traité sur le fonctionnement de l'UE (ex-article 290 TCE, ou Traité de Rome). Celui-ci stipule que « le régime linguistique des institutions de l'Union est fixé, sans préjudice des dispositions prévues par le statut de la Cour de justice de l'Union européenne, par le Conseil statuant à l'unanimité par voie de règlements ».

Tant d’efforts à conduire, pour si peu de bénéfice à tirer… Gageons qu’il ne se trouvera pas grand monde, chez nous, pour enfourcher ce cheval de bataille. Mais peut-être l’avenir de l’anglais sera-t-il après tout dans « le globish », cette sorte de charabia ou sabir de base supposé accessible à tous les commerçants du Grand Village Global ? « Wait and See » !

8 Et pourquoi pas l’Espéranto comme Langue Officielle ?

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Revenons-en un instant à cette bonne vieille Tour de Babel. Que Dieu y ait mis son grain de sel ou pas, l’utopie d’une langue unique permettant à tous les hommes de bonne volonté de vivre en bonne intelligence a ses partisans. Des nombreuses langues inventées par des hommes au fil des temps, l’Espéranto, créé par Ludwik Lejzer Zamenhof est indéniablement la plus connue. Notons qu’il la présenta juste avant la première guerre mondiale… Elle est la plus pratiquée dans le monde, même si le nombre de locuteurs réels est bien incertain (les données s’étalent entre 200.000 à 10 millions). Inspirée par un véritable humanisme, elle est favorablement considérée par des organismes mondiaux, tels l’UNESCO.

Mais l’humanisme, comme toute idée, évolue. Aujourd’hui, il semble qu’on attache plus de prix à la diversité, à l’éloge des différences, qu’à l’uniformité des cultures ; même si dans la pratique, les humains passent autant de temps à chanter le métissage qu’à promouvoir l’identité. L’espéranto, si reconnu qu’il soit, ne deviendra pas demain LA langue officielle de l’Europe… pas plus, selon toute probabilité, que le français.

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