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Macron, un cas d’école pour Machiavel

Décrypter Par Eric Le Braz 08 mai 2017

Macron, un cas d’école pour Machiavel
Capture ecran LCI
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Le Petit Prince a forcé la chance à force de volonté. Saura-t-il maintenant relire Machiavel jusqu’au bout pour conforter sa conquête spectaculaire en pouvoir pérenne ? .

Les Français n’ont pas fait de « grosses bêtises. » Et Emmanuel Hollande s’est transformé en Emmanuel Mitterrand. En se présentant, seul, avec une bande son beethovenienne, pour rendre hommage au pied de la pyramide à celui qu’on appelait le Sphinx, le Petit Prince s’est métamorphosé en pharaon.

Et en statue.

Tétanisé, le marcheur avait commencé par un premier discours statique. Pour effacer l’autocongratulation du premier tour et sa "rotondade", il a choisi une soporifique sobriété et une lugubre gravité. Le plus jeune président de tous les temps de la France a donc déjà pris un sacré coup de vieux. Mais il a de bonnes raisons de se faire des cheveux blancs, vu tout ce qui l'attend…

Emmanuel Macron doit maintenant continuer à agir en Emmanuel Mitterrand pour survivre. Et ne pas se contenter des postures hiératiques de l’homme du Panthéon, mais appliquer le cynisme philosophique de celui qu’on surnommait « Le Florentin ».  Comme Mitterrand, le nouveau président fréquente Machiavel. Il lui a même dédié un mémoire en DEA de philosophie à Nanterre… Et quand on regarde l’accession de Macron au pouvoir on est frappé par son application pratique de l’enseignement du penseur toscan... On espère pour lui qu’il continuera à suivre cette philosophie politique. Le Prince est bien un guide de survie pour un Petit Prince devenu président.

1 La chance du débutant

Macron, un cas d’école pour Machiavel

Machiavel , le rouge et le noir

Wikimedia

Pour Machiavel, la  chance (la fortuna) explique la moitié des succès en politique : «  la fortune se présente suivant les cas, comme contingence aveugle ou comme occasion propice à l'initiative courageuse » résument ses modernes exégètes. Macron a su saisir courageusement sa chance qui le lui a bien a rendu.

Tous ses concurrents les plus dangereux sont tombés comme des dominos. Juppé, son principal challenger de centre gauche, s’est fait exploser par Fillon. Hollande, son mentor de gauche soc-dem a jeté l’éponge avant le combat. Valls, son principal rival de centre gauche soc-lib, a été terrassé par Hamon avant de se soumettre au Petit Prince. Au centre Bayrou a eu la lucidité d’adouber ce disciple qu’il avait commencé par mépriser. Et Macron a eu l’intelligence de l’associer.

Puis à droite, Fillon a été blacklisté par les affaires.

A gauche, Hamon a été siphonné par Mélenchon.

Macron a réussi de surcroit à faire campagne sans agresser ses adversaires outre mesure et sans lancer de coups bas : “La médisance irrite les hommes et ne les corrige pas.” disait Machiavel….

Et hop, le voilà vainqueur du premier tour.

Au second, alors qu’il commençait un entre deux tours de la plus calamiteuse des manières, il a bénéficié de la rediabolisation express de sa concurrente FN en plein débat. Et il su alors faire preuve une nouvelle fois de virtù (à ne pas confondre avec la vertu, il s'agit ici de la force de la volonté, en transformant sa fortuna en opportunité avec courage et aplomb. Car comme l’enseigne Machiavel “Le hasard gouverne un peu plus de la moitié de nos actions, et nous dirigeons le reste”. Et si sa virtù s’impose sans nouvelle maladresse, alors la fortuna pourrait continuer à lui sourire.

2 Un président mal élu… triomphalement

Sondage Ifop le soir du dimanche de l’élection : 61 % des Français ne souhaitent pas qu’Emmanuel Macron dispose d’une majorité absolue à l’Assemblée. Et ajoutez à cette défiance, plus de 4 millions de bulletins blancs et nuls et une abstention jamais vue depuis 1969…

Si deux bulletins (valables) sur trois se sont portés sur son nom, le nouveau président est loin de rassembler deux Français sur trois. Le triomphe de Macron est relatif. Sa relative humilité au soir de son élection montre qu’il est conscient que ses électeurs aussi font du Machiavel sans le savoir en appliquant l’un de ses plus grands préceptes : “En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal. ”

 Mais comment trouvera-t-il le moyen de convaincre les Français qu’il ne mérite pas une cohabitation immédiate ?

Ce président qu’un électeur sur deux avoue avoir choisi par défaut (pour contrer Marine Le Pen) n’a pas d’autre choix que d’élargir son assise en séduisant des ambitieux  tout en gardant à l’esprit le précepte machiavélien : « En temps de paix, le mercenaire dérobe ; en temps de guerre, il déserte »

La fortuna se chargera sans aucun doute de lui fournir des alliés… s’il ne sombre pas dans les travers psychorigides qu’on lui a découverts en campagne. 

3 La tentation du Césarisme

Sympa, cool et joyeusement bordélique, la start-up En Marche ! a aussi hérité des travers habituels des nouvelles idéologies, à commencer par le culte du chef. Peu de hiérarchie chez les marcheurs... sauf au sommet. Adepte du pronom personnel à la première personne du singulier, Emmanuel Macron a un ego qui flirte avec le césarisme. Et un programme qui prévoit d’emblée de gouverner par ordonnances. Ce penchant bonapartiste du plus jeune chef d’Etat français depuis Napoléon allait bien au teint d’un Copé. Mais un président centriste qui est obligé de rassembler pour gouverner peut-il passer ainsi en force ?

Le candidat soi disant bienveillant a montré dans l’entre deux tours son intransigeance quand Jean-Luc Mélenchon lui a proposé de faire un geste en abrogeant la loi El Khomri. Il ne pouvait certes pas se dédire, mais il n’a pas fait non plus le moindre geste envers ces insoumis revêches… Or, il ne peut pas sous estimer l’ampleur du rejet dont il est l’objet. Et s’il ne veut pas faire descendre des millions de Français dans la rue dès la rentrée, il a intérêt à tenter de composer avec celui qui s’est autoproclamé chef de l’opposition ou au moins avec les syndicats… et à méditer la punchline machiavélienne : “Contenter le peuple et ménager les grands, voilà la maxime de ceux qui savent gouverner.”

4 La colère des "gens"

« Vous êtes haï, vous êtes haï, vous êtes haï». La litanie de la lettre vitriolique de François Ruffin à Emmanuel Macon entre les deux tours, pour excessive qu’elle fût, avait au moins le mérite de pointer un véritable point faible du nouveau président. Il incarne une image qui a conduit une grande partie de son électorat naturel de gauche à se détourner de lui. Au delà des postures militantes et des ambiguïtés mélenchoniennes, et aussi à cause d’elles, il y a chez « les gens » comme dit JLM, une véritable répulsion pour Macron et tout ce qu’il représente : la banque, le libéralisme, les patrons, la loi El Khomri.

Pour avoir discuté avec des employés de gauche qui se sont abstenus dimanche, j’ai pu ressentir un sentiment longtemps inimaginable : une présidente fascistoïde mais qui exercerait un pouvoir lointain révulse bien moins qu’un patron intrusif qu’on se coltine tous les jours.

Dans une étude édifiante publiée par le Monde la veille du second tour, un collectif d’universitaires a montré que près de 70 % des électeurs éprouvaient de la peur et 67 % de la colère vis-à-vis de la situation politique. Et ils n’étaient que 26 % et 34 % à faire preuve d’espoir et d’enthousiasme. Pas la peine de faire un dessin pour voir où vont les préférences électorales des deux premières émotions.

Macron incarne l’espoir mais il doit faire face un peuple très majoritairement en colère. Et si pour l’instant, il parvient à les contenir, il ne sait pas encore leur parler.

Machiavel qui estimait qu’un Prince devait être craint plutôt qu’aimé n’est alors plus d’un grand secours dans une démocratie…

5 Vers un FN sans Le Pen ?

Elle a perdu mais a fait deux fois plus que son père en 2002. Et dès le soir du second tour, Marine Le Pen a pris les devants. Elle va changer son parti en commençant par le nom. Mais c’est son propre nom qu’elle qu’elle devrait changer ! Les marques Front National et Le Pen ont atteints leurs limites le soir du débat. Il est peu probable que les Français lui accordent une troisième chance et il est fort possible que les membres de son parti lui fassent payer sa trop large défaite.

Certes la nuit des longs couteaux interviendra après les législatives où le FN sera encore circonscrit à une portion congrue par le mode de scrutin. Au mieux, il aura un groupe parlementaire. Mais après le 18 juin, Florian Philippot comme Marion Maréchal-Le Pen peuvent être tentés de prendre le contrôle de la tribu. Et si l’un des deux y parvient, on risque de se retrouver avec des débatteurs populistes bien plus habiles que Marine… dont l’un au moins connaît son florentin. Mais, ouf, c’est en 2022 qu’il faudra s’en inquiéter.  

6 La solitude des insoumis

Ah, si Mélenchon relisait Machiavel plutôt que Chantal Mouffe ! “Si tu savais changer de nature quand changent les circonstances, ta fortune ne changerait point.” , disait le penseur italien.

 Mais non. Il ignore les hamonistes, il toise les écolos, il snobe les communistes. Face à ces groupuscules, Mélenchon s’imagine assis sur un magot électoral insubmersible. Sauf que les législatives, ça ne marche pas comme ça et il a déjà payé pour voir en 2012. Pour faire élire un député, il faut une majorité au deuxième tour. Et dans leur splendide isolement, les insoumis oublient que les électeurs sont aussi rancuniers. Les macronistes, les socialistes soc-dem, soc-lib voire hamonistes se souviendront de l’attitude pour le moins équivoque de l’insoumis en chef et de la consultation limpide des militants (deux tiers pour le vote blanc, nul ou l’abstention). Comment faire confiance à ceux qui ne vous l’accordent pas ?

La campagne d’entre deux tours a laissé de profondes blessures chez toutes les sensibilités de gauche. Les noms d’oiseaux ont volé et des amitiés de trente ans se sont fracassées sur des principes au détriment des valeurs. Pour les uns, l’attitude de Mélenchon face à Le Pen, c’était le pacte germano-soviétique. Pour les autres, voter Macron, c’était devenir un social-traite. Lire twitter ou facebook ces derniers jours, c’était assister à une réplique des règlement de comptes à balles réelles entre les factions républicaines à Barcelone pendant la guerre d’Espagne.  La gauche ne va pas se relever de cette guerre fratricide en un mois. On n’est pas très optimiste non plus pour 2022. Macron a cassé le PS et laissé l’équivalent du PCF des années 60 prospérer en autarcie à sa gauche.

Machiavel disait “Tout le mal de ce monde vient de ce qu'on n'est pas assez bon ou pas assez pervers.” On soupçonne Macron d’être tantôt l’un, parfois l’autre…

7 La droite la plus friable du monde

Face à une gauche disloquée mais essentiellement insoumise, Macron est donc condamné à braconner à droite. Et c’est là que ça se complique…

A tort ou à raison, la plupart des ténors comme des électeurs conservateurs pensent qu’on leur a volé les élections. Le fillongate a tué dans l’œuf une victoire annoncée… pour une victoire repoussée au 18 juin ? C’est le pari de Baroin et des barons qui le soutiennent. Et ce n’est pas irréaliste… sur le papier. Un outil très intéressant de projection électorale a été mis en ligne par le data designer Anthony Veyssiere pour les législatives. Si on aime la politique, on peut s’y amuser pendant des heures. Il propose deux scénarios. Le premier suppose que la gauche, du PS aux insoumis, se présente unie. Bon, c’est quasi impossible. Le deuxième postule une gauche désunie et il existe dans ce cas des centaines de nuances suivant les reports de voix. La morale de la simulation ? Si la gauche est désunie, ce qui devrait arriver, le PS n’existe plus et les insoumis à peine. En revanche les Républicains ont toutes les chances d’être la deuxième, voire la première force à l’Assemblée. Au pire, ils seront probablement faiseurs de rois.

Toute l’habilité de Macron à tenir sur sa ligne de crête sera alors à nouveau mise à l’épreuve. Comment scinder les Républicains en deux  pour ne pas avoir à  négocier chaque vote ? Macron est déjà en passe de vassaliser les soc-lib du PS. Avec les Républicains, il faudra probablement être plus diplomate. Il a déjà accroché Bruno Le Maire qui se présente consentant. Il pourrait s’adjoindre, après les législatives, NKM qui minaude encore un peu mais elle sait qu’elle serait la plus belle prise. Et il reste les juppéistes…

Mais si le parti se braque et se droitise, ces derniers pourraient toujours arguer à raison qu’ils sont plus proches d’un Colomb que d’un Wauquiez. Il ne resterait plus au nouveau FN qu’à faire un anschluss sur la partie facho-compatible des Républicains et Macron aurait définitivement achevé de détruire le Yalta qui structure la politique française depuis l’avènement de la Vème république. 

L’objectif est ambitieux mais pas impossible à atteindre. Pour peu qu’il ne se plante pas dans le choix du premier ministre. L’appétit du pouvoir des uns, l’intransigeance des autres et la vanité de tous lui faciliteront grandement la tache. “La soif de dominer est celle qui s'éteint la dernière dans le coeur de l'homme. ” écrivait le maitre toscan.

 Mais c’est alors que le Petit Prince devra relire avec attention Le Prince de Machiavel. Il apprendra alors que la conquête du pouvoir, tout spectaculaire qu’elle soit, est à la portée de n’importe quel condottière. Comme l’explique dans le JDD  l’historien Patrick Boucheron, l’auteur d’Un été avec Machiavel, « La conquête du pouvoir n’est rien. Elle demande un peu de talent, pas mal de culot et surtout beaucoup de chance. Mais conserver l’État en revanche – c’est-à-dire se maintenir en l’état et garantir la grandeur de l’État – voilà le grand art politique. »  Et Machiavel fut constamment déçu par les petits princes grisés par la victoire et inaptes à la transformer en bon gouvernement… 

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