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7 pistes pour mieux COMPRENDRE et PREVENIR une tentative de SUICIDE

Décrypter Par Hervé Resse 19 février 2020

7 pistes pour mieux COMPRENDRE et PREVENIR une tentative de SUICIDE
pixabay
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Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux, disait Albert Camus, c’est le suicide. Lorsqu’on y est confronté, c’est surtout et avant tout un drame. Il frappe autant la famille, l’entourage, que la personne qui passe à l’acte ou a tenté de le faire. Drame qui suscite plus de questions que de réponses évidentes.

Le plus difficile avec les idées reçues, c’est qu’elles sont souvent fausses, mais vraies aussi parfois. Et il est difficile de discerner dans quelle mesure nos propres opinions sont influencées par les unes et les autres. Sur un sujet aussi complexe et douloureux, comment aborder les avis sans y mêler nos propres émotions ? Notre histoire personnelle, nos croyances religieuses ou philosophiques, également, dès lors qu’il y est question de vie et de mort ? 

Surgissent très vite mille interrogations… Peut-on mieux cerner les causes conduisant quelqu’un à imaginer mettre fin à ses jours ? À passer à l’acte, à y parvenir ou non ? Quelles prévention efficaces, singulièrement dans le monde du travail, où les souffrances, on le sait, ne cessent de progresser ? Et de même, dans le champ de l’éducation, puisque le passage de l’enfance à l’adolescence, puis l’entrée dans l’âge adulte, constituent autant d’étapes essentielles dans une vie, pouvant s’accompagner de douleurs et doutes, qui restent ignorés de la famille ? Au-delà d’un mal-être existentiel dont on sait qu’il peut toucher les personnes quel que soit leur âge, existent-ils des types de personnalités plus que d’autres en danger d’être réceptif à l’idée, puis à sa réalisation ?

Il est une question centrale que nous choisissons délibérément de ne pas aborder ici, et qui l’est dans le livre. Celle du passage à l’acte proprement dit, et des modes opératoires. La question y est d’ailleurs posée : « l’évoquer revient-il à le banaliser jusqu’à encourager dans le « réel » au sens le plus terre à terre du mot ? « Le réel, c’est quand ça cogne », disait Jacques Lacan. Dans le cadre d’un simple article destiné à être lu rapidement, voire survolé, on conçoit qu’il vaille mieux s’interdire d’effleurer le sujet.

L’ouvrage publié ces jours-ci par les éditions du Cavalier Bleu, s’intitule « Suicide, un cri silencieux » ; soit un oxymore à lui seul la complexité du sujet. Sur ce fait sociologique universel, il n’existe évidemment ni réponse unique, ni dispositif « miracle ». Chaque histoire est singulière. Toutes garderont cette part d’inexplicable, ainsi qu’une probable culpabilité d’avoir laissé passer sans les voir ni les entendre, des indices ou paroles qui auraient pu, ou dû, alerter. 


Disclaimer : Comme chaque fois que nous abordons ici un sujet inspiré par un ouvrage, nous prenons soin de ne pas en faire le résumé, ce qui serait impossible et reviendrait de plus à un plagiat. Nous mettons en avant quelques informations aidant à cerner des éléments du problème, étant précisé que le livre proposera à toute personne qui se sentira concernée des commentaires nourris et détaillés, rédigés par d’authentiques spécialistes (lire le point 7+).

1 Suicide : Suicidés, suicidants, suicidaires ?

En introduction de leur ouvrage, les auteurs insistent sur le choix des mots, qui recouvrent des réalités différentes. On parle de « suicidé » pour une personne effectivement décédée à l’issue d’un acte volontaire dirigé contre elle-même. Ils invitent à proscrire l’idée même de « réussite » de la tentative. Car toutes gardent une part d’ambivalence, « même dans le cas où le geste parait le plus déterminé ». L’usage de ce mot est aussi malheureux qu’inexact.

On appelle « crise suicidaire » l’intervalle de temps entre la pensée du suicide et sa mise en œuvre. Elle peut être d’une durée très variable, rapide ou lente, spontanée ou au contraire préméditée, organisée… même si l’entourage n’aura rien vu venir.  

Les suicidants ont effectué une tentative, et survécu à l’acte. Comment survit-il à ce moment ? Va-t-il le dépasser, ou tenter au contraire de réitérer ? On conçoit qu’un suicidant doit bénéficier d’un soutien et d’un accompagnement, ne pas demeurer seul face à ses pensées. Il lui faudra donner un sens à son acte, et l’isolement serait le pire moyen de l’affronter, dans l’objectif « de s’en sortir ».

Le suicidaire pense au suicide sans passer à l’acte. Soit qu’il ressente une attirance ou fascination pour la mort ou sa représentation ; soit qu’il traverse une période de vie difficile, se sente en proie à un désespoir. Naturellement, les pensées suicidaires révèlent toujours un fond de souffrance véritable, et pas seulement un simple fantasme romantique. On note que la conscience de ses propres responsabilités familiales constitue souvent le vrai rempart contre le passage à l’acte.

2 Suicide : Un mal héréditaire ?

On sait qu’il est des familles où le recours au suicide revient parfois, tel un sort funeste, par-delà les générations. Voilà qui pousse à s’interroger : existerait-il une prédisposition génétique, héréditaire ? Des études semblent vouloir aller dans ce sens. Mais les auteurs ne vont pas jusqu’à affirmer l’existence « d’un gène du suicide ». Et il ne faut pas non plus imaginer une fatalité implacable, frappant au fil des décennies, telle une malédiction.

En revanche, on conçoit qu’un suicide puisse déclencher chez les descendants une fragilité affectant toute la sphère familiale. Elle abaisserait les défenses psychiques ou physiques de chacun des membres, accréditant alors l’hypothèse d’un « terrain favorable ». Combattre cette idée d’une contagion inévitable, c’est à quoi le suivi psychologique au sein d’une famille ayant connu un drame doit pouvoir s’attacher.

3 Suicide : Troubles psychologiques ou psychiatriques ?

Il est déjà bien difficile parfois, à un thérapeute ou un psychiatre de mettre un nom précis sur un désordre psychique ou mental. Alors, que dire d’un individu standard, simplement nourri de quelques lectures sommaires ou approfondies, de livres ou plus souvent de magazines ! 

« Folie ». Névrose. Dépression. Schizophrénie. État dépressif chronique. Trauma psychique. Névrose post-traumatique. Autant de mots que nous entendons, pouvons employer, sans savoir le plus souvent ce qu’ils recouvrent d’état psychique… Et de souffrance, au singulier ou au pluriel. Trois points peuvent ici être notés.

1) Un suicide est une mort violente, elle entraîne donc au plan légal une saisie du procureur de la République, et une autopsie médicale, qu’accompagnera un examen des antécédents médicaux de la personne.

2) « L’influence des états psychopathologiques sur le comportement suicidaire diffère si l’on considère les suicidés ou les suicidants ». Des antécédents psychiatriques, ou traitements contre les dépressions, se remarquent plus souvent chez les suicidés que les suicidants. La proportion d’antécédents psychopathologiques est moins prononcée chez ces derniers. 

3) Les auteurs notent des différences significatives entre hommes et femmes. Le suicide féminin « s’inscrit ainsi dans une réalité psychopathologique (souvent développée sur une longue période) alors que le suicide masculin peut répondre d’une même causalité mais survenir hors de toute prise en charge médico-psychologique antérieure ». Cela rend la prévention du geste plus difficile.

Pour le reste, citons les auteurs : « le lien entre trouble psychiatrique, psychologique et suicide n’est plus à démontrer : la maladie mentale constitue bien le premier facteur de risque de mort par suicide. Pour autant, tous les malades qui souffrent de dépression, de schizophrénie, d’hystérie, ne meurent pas, et c’est heureux, de suicide ».

4 Suicide : Causes sociales ?

L’ouvrage y consacre plusieurs chapitres, et n’omet pas l’hypothèse que souvent les causes sont nombreuses, et concourent ensemble au désespoir de la personne. On mesure bien, et l’actualité de ces dernières années l’a suffisamment prouvé, que la souffrance au travail a progressé autant que les concepts supposés y répondre sous des sigles ou acronymes plus ou moins prometteurs de mieux être « Qualité de vie au Travail », « Responsabilité Sociale ou Sociétale », (voir point 6). 

Tout cela, et naturellement le chômage subi (non, toutes les personnes ne sont pas chômeuses par confort !), les situations de surendettement, peuvent entraîner des spirales négatives : délitement des relations sociales jusqu’à l’isolement, recours par compensation (vaine consolation) à tous types de comportements addictifs (drogues, alcool, psychotropes), autant de terrains possiblement favorables à l’émergence d’idées sombres au point d’en devenir destructrices.

Des phénomènes comme le « mobbing », où un groupe d’individus s’en prend à un seul qui devient « la bête noire », « le souffre-douleur », voire le bouc émissaire (celui qui doit porter seul la responsabilité du groupe tout entier) font souvent la Une des faits divers. Ils peuvent frapper dès l’enfance, à l’école, puis se voir renforcés par les relais incontrôlables qu’offrent les usages pervertis des réseaux sociaux. Le buzz peut devenir bad buzz. Et le cyber-harcèlement peut alors prendre des proportions inimaginables, comme dans le cas très célèbre du « Star War Kid » des années 2000. , cas extrême, qui n’est pas abordé dans le livre dont nous parlons, ne conduisit pas au suicide de l’intéressé. Désormais adulte, il s’exprima sur le calvaire vécu dix ans plus tôt. Mais on peut noter qu’à l’époque, d’innombrables messages l’encourageaient à passer à l’acte, seule issue pour effacer le ridicule où il était supposé s’être mis. « Homo Homini Lupus Est ». L’homme est un loup pour l’homme, même en mode 2.0…

5 Suicide : Maltraitances et viols ?

Il est bien des formes de maltraitances, et de violences. Si l’actualité met souvent en avance les agressions sexuelles de toutes natures, dont sont le plus souvent victimes femmes et enfants, définissons la maltraitance comme « une atteinte à l’intégrité de la personne, instaurant un rapport inégalitaire de contrôle et d’emprise sur la victime ». Cela inclue l’intégrité physique (violences verbales, insultes, cris, sarcasmes, menaces, intimidations), mais aussi des violences économiques (interdire à la victime l’accès au travail ou le priver de ses revenus), les violences administratives (confisquer à quelqu’un ses documents), les violences psychologiques (agissements, dévalorisation systématique, harcèlement ou isolement, atteinte à l’estime de soi pouvant conduire à la dépression). Les violences physiques sont les plus repérables puisque laissant des traces. Les auteurs affirment qu’elles sont aussi les plus fréquentes : en 2018, 149 personnes sont décédées sous les coups de leur partenaire ou de leur ex-partenaire de vie. Parmi elles 121 femmes, sans compter celles s’étant suicidées pour échapper à ces violences. 

 Sans entrer dans le détail qui à soi seul mériterait un article complet, les maltraitances sont – au moins sur le papier- mieux réprimées par la loi, considérées comme délits ou crimes (viol). Le nombre de faits avérés ne diminue pas pour autant. Simplement peut -on souhaiter qu’au moins pour partie, la volonté de les rendre publics concourt à augmenter la statistique. 

On sait que 4 millions de personnes déclarent avoir été victimes d’inceste.  Le viol conjugal peut être poursuivi. Chaque année, près de 80 000 femmes sont victimes de viols ou de tentatives de viols en France, mais seulement 10 % des victimes de viol portent plainte. 3 % des viols débouchent sur un procès en cour d’assises. Il demeure le crime le plus répandu en France… et le plus impuni.

Des études ont prouvé que surmonter, dépasser psychologiquement les traumatismes d’un viol et ceux d’attouchements ne sont pas comparables. On a pu mesurer lors d’entretiens les impacts respectifs sur le bien-être des victimes en général, leur sexualité ultérieure, les rapports sociaux avec les hommes en général, le recours aux antidépresseurs ou anxiolytiques, la rémanence des souvenirs et des souffrances. Les séquelles ont toujours des retentissements forts et durables sur l’équilibre ultérieur, mais les personnes n’ayant eu à souffrir que d’attouchements parviennent plus facilement à vivre avec. En revanche le viol est un facteur aggravant significatif des pensées suicidaires. 38 % des femmes victimes d’un viol ont déjà sérieusement envisagé de se suicider, contre 22 % dans l’ensemble de la population féminine. Cet écart de 16 points est statistiquement très significatif. Les viols survenus au cours de l’enfance ou de l’adolescence apparaissent plus traumatisants. En résumé le viol augmente par 4 le risque de tentative de suicide. Et l’on note que 10% des femmes victimes d’un viol réitèreront leur tentative, contre 1% en moyenne dans l’ensemble de la population féminine. Soit un facteur multiplicateur de 1 à 10.

6 Suicide : Au travail ?

On a connu des entreprises où se multipliaient les passages à l’acte, et qui ont eu à en répondre devant les tribunaux, l’organisation du travail et la gestion des relations humaines ayant largement contribué à ce fléau. Les mutations du travail, des méthodes de management déstabilisatrices, sont souvent pointées du doigt. De plus en plus de suicides sont aussi causés par le harcèlement moral.

Voilà déjà plus de vingt ans, Marie-France Hirigoyen publiait Le Harcèlement moral. Et le problème est loin d’être résolu. Les auteurs y voient toujours, bien au contraire, un véritable problème de santé publique.

L’épuisement au travail ou Burn-out, est aujourd’hui une réalité reconnue, même si elle n’a pas été classée au rang des maladies professionnelles. On parle moins du brown-out qui est le sentiment de perte totale du sens donné à son activité professionnelle, ou procuré par elle. Cette souffrance est également bien réelle, tout comme le bore-out, qui est le sentiment d’ennui profond de celui qui estime n’avoir rien à faire. Il ne vient plus que pour toucher son salaire, il en souffre, mais souffre tout autant à l’idée que cela puisse s’arrêter car viendrait alors l’obligation de rechercher « autre chose », alors que jour après jour on se persuade de n’être plus capable de rien. Il y a donc là une injonction contradictoire (faites que ça continue, et faites que ça cesse !) qui peut devenir vraie souffrance.

Parfois la mobilité professionnelle, notamment si elle est contrainte, durable, éloignant de la famille et des proches, peut devenir une source de dépression. Autant de souffrances pouvant aboutir à un sentiment de perte de contrôle sur sa propre vie.

7 Suicide : Quelles préventions la société peut-elle apporter ?

Au travail, les missions de prévention étaient naguère encore dévolues aux CHSCT (Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions du Travail). Y siégeaient les représentants des personnels et des employeurs. La loi El Khomri confie désormais ces missions au CSE (Comité Social et Economique). Mais les auteurs portent sur cette modification un regard très critique. D’une part on constate une perte de spécialisation des représentants : une seule instance doit dorénavant prendre en charge l’ensemble des questions économiques, financières, culturelles, sociales, de santé, d’hygiène et de sécurité. Ses effectifs et moyens ont été réduits. Et s’en suit une perte de proximité, dont on a pu voir à quel point elle joue pourtant un rôle essentiel en matière de prévention des suicides. Les auteurs appellent par ailleurs à l’élaboration d’une charte éthique des DRH. Et plus largement, mais probablement entre-t-on alors dans le champ de l’utopie, « l’expression publique d’une vision autre que le seul culte de l’efficacité et de la performance ».

En France existe un Observatoire national du suicide, créé en septembre 2013 et rattaché au ministère des Solidarités et de la Santé.

S’agissant des viols et violences sexistes, il s’agit aussi de prévenir le risque suicidaire. L’accompagnement et le soutien des victimes est encore insuffisamment travaillé. Les auteurs de « Suicide, un cri silencieux », affirment indispensable de mieux connaître les effets des viols, des violences sexuelles et sexistes, sur la santé mentale et globale, incluant alors le risque suicidaire des victimes, et ce quels que soient leur âge (cela ne touche pas que des « adolescentes mal dans leur peau ») et l’ancienneté des faits. 

Il est indispensable d’accompagner les victimes, de les aider à retrouver une sérénité dans leurs relations intimes, affectives et sociales, y compris avec les hommes. Avoir subi un viol n’ôte à personne sa dignité. Et trop souvent les victimes se sentent abandonnées à une honte génératrice de solitude, aggravant la souffrance et l’état dépressif. 

On conviendra qu’il s’agit aussi, et surtout, de faire évoluer les rapports sociaux et humains dans leur ensemble. Lutter contre le suicide, c’est envisager comme réaliste une société permettant à chaque personne de se vivre « digne de respect ». On conçoit aisément que de longs et pénibles efforts seront nécessaires pour y parvenir.

8 Pour aller plus loin : Suicide, un cri silencieux

7 pistes pour mieux COMPRENDRE et PREVENIR une tentative de SUICIDE
LE Cavalier bleu

Les Éditions du Cavalier Bleu prennent soin de confier chacun de leur ouvrage à de vrais spécialistes également capables de s’exprimer en « vulgarisateurs » compétents. Entendons par là, des experts réellement capables de transmettre leur savoir en le rendant compréhensible sans céder aux simplifications excessives. 

Michel Debout est médecin psychiatre, membre de l’Observatoire National du Suicide, et professeur émérite de médecine légale et droit de la santé. Il a publié de nombreux ouvrages.

De son côté, Jean-Claude Delgènes, est économiste, expert en organisation du travail, a fondé Technologia, l'un des principaux cabinets de prévention des risques liés au travail. Il a déjà publié, chez le même éditeur, un livre sur le Burn-Out qui nous avait inspiré un article sur 7x7

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