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7 questions sur la loi travail qui pourraient bien vous faire changer d'avis et peut-être même changer de vie

Décrypter Par Christophe Gérin-Roze 24 mars 2016

7 questions sur la loi travail qui pourraient bien vous faire changer d'avis et peut-être même changer de vie

La flexibilité, ça ne sert pas qu'à travailler.

Alain Pitton / NurPhoto
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Faut-il réformer le droit du travail ? “A force de vouloir prendre des mesures protectrices pour les jeunes, on ne les protège pas au travail, mais on les protège du travail” assure Emmanuel Macron dans Le Monde, ce qui a exaspéré les opposants à la loi. Seulement, la flexibilité sans sécurité, ça fait un peu mal au dos. Tout comme l’haltérophilie sans les étirements. Et si on musclait plutôt la réflexion ? 

Le monde syndical s’enflamme, les étudiants sont dans la rue, les réseaux sociaux crépitent… Le projet de loi travail est loin de faire l'unanimité. Est-ce à dire qu'il ne faut rien réformer  ? Et pourquoi ne pas profiter au contraire de cette formidable mobilisation et du remue-méninges qui l'accompagne pour remettre tout à plat : le contrat de travail, la précarité, la souffrance au travail, le revenu universel, etc. ? Car à force de décortiquer la loi travail, on se rend compte qu'il faudrait peut-être exiger plus, beaucoup plus de cette réforme. Pour vraiment changer le code. En mode 7x7, bien sûr.

1 Qui n’en veut pas ? Les esclaves du CDI qui s’accrochent à leur boulot comme à un boulet de sauvetage.

Les syndicats les plus opposés au projet, FO et la CGT, sont souvent les premiers à défendre des acquis sociaux menacés, attaqués de toute part dans la compétition qui oppose les entreprises, et aussi les travailleurs entre eux.

Mais en fait d’entreprises, ces syndicats sont surtout actifs dans le secteur public ou associatif, l’enseignement, la santé, EDF, la SNCF, les douanes… et chez divers employeurs qui ne licencient pas, comme les assurances et les banques. C’est là, justement, que les syndicats sont le mieux implantés, et pour cause. Ailleurs, les salariés sont occupés à satisfaire les clients, et le premier d’entre eux : celui qui achète leur travail.

Ils ont un peu peur, les salariés. Pas des migrants, mais de migrer eux-mêmes, vers la sortie. Malgré quelques progrès dans l’accueil du public, Pôle Emploi n’est pas une perspective très attrayante. Alors bien sûr, un contrat protégé devrait les rassurer comme un blindé.

Pôle Emploi aussi, fait peur… Vous étiez pressurés par des objectifs chiffrés ? Maintenant il va falloir prouver que vous cherchez vraiment du boulot. Sinon, vous allez nous aider à inverser la courbe du chômage. Radiés !

Quand le gouvernement a annoncé un contrôle accru des chômeurs début2015, personne n’a levé le petit doigt pour protester. Ils étaient où les syndicats ? Pas à Pôle Emploi, ou alors du bon côté du bureau, pour demander des effectifs et des moyens. C'est bien, mais ça ne va pas nous mener très loin.

2 Qui veut des réformes ? Ceux qui n’ont pas de CDI

Parlons des précaires. Ils sont de plus en plus nombreux. Uber, intermittents, pigistes, temps partiels, remplaçants, vacataires, aides à domicile, soutien en maths… ils sont payés quand il y a du boulot, et pas quand il n’y en a pas. Tous les économistes prévoient qu’avec l’économie numérique, il y aura de plus en plus d’intermittents et de moins en moins d’emplois stables. Voire de moins en moins de métiers.

Même les emplois de cadres, techniciens et ingénieurs, de plus en plusspécialisés, correspondent souvent à des projets précis, donctemporaires.

Les précaires, remplaçants, intermittents, prestataires, auto-entrepreneurs, ont une attitude commerciale plutôt que subordonnée. Ils vendent leur travail à des clients. Les plus qualifiés d’entre eux, les plus dynamiques, négocient les conditions. Pas besoin de syndicats, ils n’aiment pas trop. À l’opposé, les plus fragiles ont du mal à se faire entendre : les chômeurs ne font pas grève.

Un système qui diminue la protection liée au contrat de travail devrait fluidifier le marché de l’emploi, générer de la mobilité, ce qui permettrait aux chômeurs de trouver plus rapidement un CDI, à la place d’un autre salarié. C'est plus un jeu des chaises musicales qu'autre chose, mais du moment qu'on vous le dit...

3 Et comment éviter la souffrance au travail pour tous  ?

Dans un monde sans chômage on n’aurait pas besoin de la garantie de l’emploi. Si ça se passe mal, je vais voir ailleurs… le rêve, non?

Mais s’il y a 10 emplois pour 12 travailleurs, ça fait 20% de chômage et la loi n’y changera rien, à moins de remplir les carnets de commandes et, surtout, d'empêcher le dumping social, les délocalisations ou le travail détaché. On peut toujours menacer les chômeurs, interdire les licenciements ou les faciliter, ça ne changera que la durée du chômage et la mobilité, le jeu des chaises musicales. La sélection sera plus adaptée aux besoins ponctuels des employeurs. Mais la pression, elle, ne faiblira pas…

De fait, et déjà sans réforme, la souffrance au travail ne cessed’augmenter.

Souvenons-nous des feuilletons dramatiques. Des cadres chez Orange qui sautent par la fenêtre, des chercheurs de Renault désespérés au Technocentre... Récemment, un fonctionnaire me racontait les petits harcèlements de ses collègues, moqueurs, dévalorisants. Un cadre fonctionnaire a sauté de son bureau au deuxième étage, sans issue fatale. Ici ou là, quelqu’un semble avoir un problème avec l’alcool. On multiplie les lois contre le harcèlement, sans obtenir les résultats escomptés, car tout le monde est en cage.

Or... la plupart de ces salariés sont protégés par un CDI en béton. Alors, vaut-il mieux tomber de haut et lesté, quand on n’a qu'une envie : fuir, s’en aller, s’envoler? Il vaudrait mieux des ailes, un statut d’intermittent !

Et même sans conflit, sans harcèlement, les meilleurs se retrouvent en burn-out. Pas ceux qui sont faibles, attention. Le burn-out touche les plus motivés, efficaces, disponibles. Vous n’avez jamais regardé vos mails le soir après dîner, le dimanche, en vacances, la nuit, en faisant l’amour ? (et là on ne parle pas de sextos)

Oui, on se brûle au travail. La compétition de haut niveau produit des blessures de haut niveau.

4 Payé à ne rien foutre… pourquoi pas ?

Pour éviter le burn-out, rien de tel qu'un peu de repos. Pour ça, un revenu minimum, y a pas mieux. Mais si Pôle Emploi vous fournit un coach aux dents longues, avec des objectifs chiffrés sur la courbe du chômage, ça va pas marcher.

Un chômage réussi, ça doit permettre de prendre du recul, et de remettre l’imagination aux commandes. Envie d’écrire un livre ? Attention, il y en a déjà pas mal au Salon. D’ouvrir un restaubio vegan en circuit court ? De lancer une opération humanitaire ? De piloter un vélo taxi ? D’aider des handicapés et des personnes âgées à surveiller une crèche ?

On nous l’a toujours dit, le désir c’est plus moteur que la peur. Mais à moins d’être le dernier-né de la famille Bettencourt ou le fils caché de Bernard Arnault, il vous faut un peu d’autonomie financière. Des libéraux et des alternatifs préconisent un revenu de base, sous des noms différents. Sa particularité est d’être associée à votre personne, juste en tant que citoyen, et non à votre contrat de travail plus ou moins solide.

Le centre est pour. Hervé Morin, sur Agora, France Inter, le 6 mars: ‹‹Je suis pour un revenu universel ››. Pour tous, donc. Même les fainéants ? Voilà bien une question que poseront, indignés, les retraités, les patrons et les rentiers. Logique, c’est eux qui paieront.

Les précaires gagneront une autonomie précieuse, et après tout, tantmieux s’ils renoncent à des emplois trop rares, ça fera des places pour les autres !

5 Et si on passait du vertical à l'horizontal ? (non, c'est pas sexuel)

Dans les entreprises, on connaît deux modes d’organisation: hiérarchique, ou par projets. L’avantage d’une organisation hiérarchique, pyramidale, c’est qu’on sait ce qu’on doit faire, exactement, et à qui obéir. C’est simple, régulier, un peu rigide, et efficace dans un environnement stable, tant qu’on n’ouvre pas votre métier à la concurrence.

Le mode projet est plus souple et se reconnaît à son organisation en réseau, définitivement horizontale. Du moins en apparence. On travaille à un chantier, avec un chef de projet, un budget, des objectifs, un calendrier. Puis on change. Les projets communiquent en réseau au sein de l’entreprise, plus ou moins bien coordonnés, ou à couteaux tirés.

Conséquence : une concurrence entre équipes. ‹‹Aidez-nous, vous savez faireça, mais pas nous››. ‹‹Ne les aide pas, on n’a pas à le faire, ce n’est pas notre job, on a des objectifs››. Qui n’a pas entendu ça dans sa boîte, prononcé par le petit chef étriqué qui défend son “périmètre” au détriment de la coopération, plus fructueuse?

Chacun doit rendre des comptes de tous côtés, chacun tire la couverture à soi, donc on n’avance plus, les délais s’allongent, les boîtes mails se remplissent, les réunions s’enchaînent et vous assignent des tâches impossibles, on se refile les problèmes, avant de trouver un prestataire…

“C’est politique”, ou “c’est la règle”, vous dit-on quand une aberration vous sidère. Le burn-out n’est pas loin, les parts de marché volatiles lorgnent les bas coûts des voisins à bas salaire, les dirigeants trouvent des sous-traitants à l’est, et le Front National attend son heure.

Pourtant, la science du management nous apprend qu'augmenter l’autonomie des  acteurs et faire confiance, ça marche. Parce que les hommes, quand on ne les prend pas pour des instruments, sont infiniment plus agiles que des robots, plus souples et plus polyvalents. Mais ils coûtent plus cher en charges sociales et garanties de toutes sortes, et en plus ils tombent malades quand on les maltraite. Salauds de pauvres...

6 La liberté a de la ressource. Mais a-t-elle des ressources ?

Il existe déjà un dispositif pour ceux qui n’auront jamais un CDI : les intermittents du spectacle. Il est cher, le patronat ne cesse de râler et demander sa suppression, car c’est le patronat qui paye les clowns et ça le rend triste.

Mais ça rapporte : en France, on continue à produire des films et des spectacles, à faire vivre une industrie culturelle, et c’est un moyen d’exister sur le plan international. Le festival de Cannes vaut bien l’intervention militaire en Libye, non?

Mais, au fait… Pourquoi les entreprises qui emploient et payent des salariés devraient elles financer le chômage ? C’est injuste, et c’est idiot !

Les tentatives de financer la protection sociale par l’impôt ont buté sur le fonctionnement politique. Michel Rocard a créé la CSG, et sauvé la sécu, en taxant tous les revenus y compris les rentes financières. Les électeurs y ont juste vu un impôt de plus, et il a perdu les élections. Mais personne ne l’a supprimée, et on peut encore l’augmenter.

Les écologistes dans les années 90 (Les Verts), les centristes, et même Sarkozy ont proposé une TVA sociale qui permettait de baisser les charges en taxant aussi bien les robots, et discrètement les importations… Sarkozy ne l’a pas fait par peur du prix politique, sauf en fin de mandat. Hollande l’a dénoncée, on l’a élu, primaire et présidentielle. Puis il a fini par la faire, mais un peu tard, quand il n’avait plus le choix et déjà perdu la confiance de son électorat.

Bref, personne n’a d’argent et surtout pas l’État quand il ne se donne pas les moyens de le prélever, faute de courage. Pourtant, il y a des embouteillages et du smog. Les polluants sont-ils assez chers?

7 Et si on changeait tout  ?

L’artisan est découragé, il achète des jouets en toc pour ses enfants criards, fabriqués par des enfants sans avenir dans un pays sans lois sociales. Il aimerait employer, mais c’est trop cher et les ventes sont imprévisibles. De toute façon, il vaut mieux sous-traiter en Asie.

Il existe pourtant un secteur qui échappe à cette malédiction. L’économie numérique produit tranquillement les géants de demain, avec ce mot d’ordre: “soyons agiles!” (Macron emploie le même mot, et il voudrait bien qu’on se plie en quatre pour ses réformes).

Agile, c’est le nom d’une méthode qui rapproche les travailleurs des clients (internes, et de fil en aiguille, externes). On interagit avec un minimum de contraintes, et on y prend plaisir. Sinon, on postule ailleurs.

Pour ça, on a besoin de flexibilité dans l’entreprise, et de sécurité dans la société. Car pour se montrer agile, réactif et même créatif, il faut tout de même se sentir en position stable, et non constamment menacé. Il faut coopérer, et non défendre un périmètre. C’est facile, quand on a des talents recherchés, dans un secteur “porteur” : des ailes pour choisir, dans la “nouvelle” économie numérique.

Dans ce cas, plutôt que se braquer sur des contrats béton, ou faire descontorsions à s’en rompre le dos et le mental, il faut de nouvelles protections sociales pour tous. Y compris les indépendants, journaliers, auto-entrepreneurs, intermittents... Et pour cela on devra payer plus d’impôts. Le prix de la liberté, et de la sécurité. Payer plus pour vivre mieux ?

C’est un choix collectif, il suffit de lui donner forme.

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