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7 effets (très) pervers de TWITTER sur le débat public

Décrypter Par Hervé Resse 19 mai 2021

7 effets (très) pervers de TWITTER sur le débat public
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Le livre de Samuel Laurent J’ai vu naître le monstre (Ed. Les Arènes), s’accompagne d’une base-line assez cash : Twitter va-t-il tuer la #démocratie ? A un an de la prochaine présidentielle, avouons que ça mérite examen.

12 années de présence assidue sur Twitter n’ont pas réussi à m’en dégoûter tout à fait. L’addiction résiste encore à l’écœurement, l’effarement, que j’y ressens souvent.


Samuel Laurent, journaliste du quotidien Le Monde, après être passé par le Figaro, en fut un acteur assidu. Traqueur de buzz et d’intox, à la fois victime et parfois coupable (il l’admet volontiers) de dérives qu’il y constatait, il est parvenu à s’en désintoxiquer. Il avoue néanmoins un rien de nostalgie, car les premières heures du réseau, juvénile euphorie de la découverte, offraient une belle place aux échanges complices.

Hélas, comme disait Bob Dylan, « ça me plaisait, mais les choses ont changé ».

 Si le réseau s’est transformé en monstre, menaçant la démocratie, comme tout Golem  échappant tôt ou tard à son créateur, qu’est-ce donc qui a bouleversé la donne et conduit à cette inquiétante évolution ?

Intéressante question. Mais est-ce vraiment cela qu’il faut se demander ? S’agit-il seulement de « comprendre comment on en arrive là » ?  Twitter plus que la maladie elle-même, serait-il au fond un symptôme d’un mal plus grave, sociologique, anthropologique peut-être, culturel, identitaire, mondial ?

Le sujet est grave. Car au-delà de la mise en avant de faits, ce qu’on lit sur le réseau du petit oiseau bleu devient méchamment problématique. Du point de vue des échanges qui s’y tiennent, mais aussi de leurs conséquences « IRL » : « dans la vraie vie », comme on disait aux débuts du Web 2.0.


Il faut le rappeler chaque fois, 7X7 ne prétend pas faire chronique ou critique des livres qui retiennent l’attention. Nous en tirons des leçons, des hypothèses, des convictions, et risquons des points de vue personnels qui n’engagent que l’auteur de l'article, et non celui du livre. Nous le faisons sans spoiler ni piller la trame ou les contenus du livre concerné. En indiquant toujours les emprunts que nous sommes amenés à y faire.

1 Twitter : Un format moderne ou réducteur ?

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Twitter est-il un « monstre » ? L’était-il déjà, sitôt sa mise en ligne, le 21 mars 2006, 10h50, San-Francisco ? Autrement dit, les dévoiements du débat et de la communication qu’on y constate, si tant est qu’ils existent réellement, font-ils partie de son ADN? Ce jour-là Jack Dorsey publie le premier tweet de l'histoire, il écrit « Just setting up my twttr » (« En train de configurer mon Twitter »). Ce nouveau réseau doit permettre l'essor du « micro-blogging »: exprimer une action, une idée, une pensée, un commentaire sur un fait, ou ce que l’on voudra. Mais en 140 caractères maximum. Espaces compris. Évidemment on pourrait le faire en « langage SMS ». Mais pour construire un lectorat, car l’objectif évidemment sera d’être lu, mieux vaudra rechercher la synthèse, la concision, que l’expression absconse d’une pensée peu évidente.

Lu, mais par qui ? D’abord par ceux qui vous suivaient déjà ailleurs, sur votre blog, par exemple. Lu par ceux qui choisiront de s’abonner à votre flux, qu’on appellera vos « followers », tandis que vous-même suivrez d’autres comptes, souvent les mêmes, qui deviendront vos « followés ». Les débuts encourageront un « entre-soi » de geeks, nerds, blogueurs, étudiants journalistes, communicants. Ceux-là savoureront d’être pionniers, défricheurs, ou pour le dire en « français 2.0 », des happy few, des early adopters.

Au fil du temps et de l’activité, à mesure qu’augmentera aussi la notoriété du réseau et son nombre d’inscrits, le premier cercle d’abonnés aura vocation à s’étendre.

Sans faire tout l’historique, rappelons simplement qu’au fil des évolutions, Twitter offrira d’associer à nos contenus textes, des liens, photos, vidéos ; il permettra de transférer des tweets reçus à ses propres abonnés (le fameux « RT », re-tweet) ; de doubler le format (280 caractères), de développer des contenus sur plusieurs tweets enchainés (les « threads »).

Ayant atteint l’actuel rythme de croisière, et sa dimension mondiale, Twitter a pu devenir un formidable outil de de proximité avec les people, mais aussi de promo (marketing, publicité) pour les marques, de campagne politique (ou de propagande), de notoriété, d’information… et désinformation. On estime qu’il se diffuse aujourd’hui chaque seconde 5 900 tweets environ, représentant 504 millions de tweets par jour et 184 milliards par an. Vous ne recevez que ceux aux flux desquels vous êtes abonné.

D’un strict point de vue factuel, Twitter représente un pas décisif vers le fameux concept de Village Global annoncé dès les années 60 par le très renommé Marshall McLuhan. Certes, demeurent les barrières de langues, d’alphabets, certains référents culturels, et le fait que toute la planète n’a pas accès à la connexion (il en est qui vivent toujours sans électricité). Mais ce format peut répondre, dans une première lecture, à « nos attentes » de mise en relation rapide avec le vaste monde.

Ceci posé, essayez donc de développer un contenu pertinent, offrant tout à la fois un rappel au contexte (essentiel pour toute communication qui se veut compréhensible), une exposition du problème, et une amorce de pensée reliée au dit problème, le tout en 240 caractères. Si vous y parvenez, déposez puis vendez la méthode ! Même quand l’idée se développera dans un « thread », on peut parier que la majorité des lecteurs n’ira pas jusqu’au bout. Elle sera lue et reçue comme telle, bien souvent sans distance, dans la dynamique d’instantanéité. Il y a dans l’ADN même du format Twitter, une obligation à réduire tout sujet autre qu’anecdotique à une idée simple, percutante, mais sans véritable nuance.

2 Twitter : La parole à tous et même aux imbéciles ?

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Poursuivons : Samuel Laurent glisse au terme de son ouvrage cette fameuse citation d’Umberto Eco. Il en a vérifié l'authenticité. Amer, ce grand lettré constatait vers la fin de sa vie que « les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui avant ne parlaient qu’au bar, et ne causaient aucun tort à la collectivité... Aujourd’hui ils ont le même droit à la parole qu’un prix Nobel ».

Chacun peut avoir ses idées sur le sujet. J’ai les miennes. Elles ne sont pas celles d’un journaliste, mais celles d’un « communicant »; de moindre notoriété mais également assidu. En fait, en dehors de l'auteur du Pendule de Foucault, nul n’a peut-être mieux résumé cette limite que Blanche Gardin, dans cet extrait de son deuxième spectacle. C’est rapide, et pour le coup parfait : tous les spécialistes des sciences humaines réunis en conclave ne feraient pas mieux.

Trève de plaisanterie, le propos d’Eco peut passer pour élitiste. S’agissant de Twitter, il est tristement exact. Le seul élément qui permettrait de distinguer l’influence de l’imbécile lambda et celle du prix Nobel serait leurs audiences comparées. Mais la loi du nombre sert-elle la qualité? Évitons toute polémique inutile: ayant rappelé que chacun de nous est l’imbécile d’un autre, et que nous avons tous nos imbéciles favoris, inutile de citer des comptes suivis par des dizaines, voire centaines de milliers d’autres, qui ne débitent pourtant que des propos d’une pauvreté insigne, et sont ultra populaires.

Il y a un effet intrinsèque au réseau lui-même, qu’on pourrait appeler « effet Donald T. » : quand l’audience est le seul critère pouvant mesurer l’influence, bonne ou mauvaise, on peut se risquer à considérer que plus Twitter compte de comptes actifs, plus les comptes suivis par le plus grand nombre seront de médiocre qualité.

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3 Twitter : De la discussion jaillit n’importe quoi !

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Il faut alors rappeler cette sentence indiscutable qu’avait posée Bourdieu à propos de la télévision : « la pensée pensante exige du temps ». L’exact opposé de ce qui se vit sur Twitter.

Gardons cette idée que toutes les idées ne s’équivalent pas. Si de la discussion peut jaillir la lumière, il y faut des conditions : savoir écouter d’autres idées que les siennes ; et accepter que tout le monde ne pense pas comme soi. Or on a tendance sur Twitter à suivre prioritairement des gens dont on se sent proche, affectivement ou intellectuellement. D’où le biais cognitif consistant à renforcer ses propres idées préétablies. On appelle cela la « bulle de filtrage ». À quoi vient s’ajouter le biais de confirmation, qui conduit à considérer que la majorité pense forcément comme soi.

Bien des « twittos » ne reçoivent des idées discordantes que lorsqu’elles sont proposées sur un mode critique par ceux qu’ils apprécient. Bien moins nombreux sont ceux qui s’abonnent à des personnes « opposées » ; sinon pour surveiller ce qu’elles expriment. Afin le plus souvent de les disqualifier ensuite auprès de leurs propres followers.

Il est donc rare que de Twitter jaillisse un vrai dialogue. Et d'autant plus que la construction même du média (son algorithme) vise à renforcer la polarisation des idées: plus on réagira de façon agressive aux échanges, plus on y passera de temps. Et plus ce renforcera le potentiel publicitaire du média. 

… N’en déplaise au philosophe allemand Jurgen Habermas, qui espérait et annonçait l’émergence avec Internet de la « démocratie numérique », au sein de ce qu’il appelait depuis plus longtemps (1962) L’espace public. Il entendait par là (je le cite) « un ensemble de personnes privées, rassemblées pour discuter des questions d'intérêt commun, et faisant contrepoids à des pouvoirs absolutistes ».

Les réseaux sociaux tels que nous les connaissons n’ont pas permis cette utopie. L’effet de masse l’a emporté sur l’hypothèse d’une volonté de s’élever ensemble par des échanges sereins. Certains experts en communication qui doutaient au départ des vertus d’internet (on pense par exemple à Dominique Wolton) étaient vite taxés d’obsolescence et ringardise. Force est d’admettre avec ceux-là que Twitter comme outil d’expression « des masses », ne répond pas, et probablement ne peut répondre à l’enjeu d’enrichir le débat public. Ce serait même carrément l’inverse. Pourquoi ?

4 Twitter : Appuie sur ce qui divise, et l’exacerbe

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Le livre de Samuel Laurent consacre de belles pages aux diatribes (qu’on peut aussi appeler « polémiques », « clashes »), aux divergences et désaccords qui en découlent, souvent d’une rare violence, et à cet égard, irréconciliables. Twitter serait-il devenu un ring de boxe ?  On serait alors assez loin du « Noble Art » et de ses règles écrites. On proposerait plutôt pour un octogone, dans un championnat permanent d’Ultimate Fight. Tous les coups sont permis. Même et surtout les coups bas.

Il faut dire que les thèmes de discorde ne manquent pas. Samuel Laurent en cite certains, où il fut parfois partie prenante, et à ce titre pas toujours objectif - nous semble-t-il-. Ne serait-ce que par le choix subtil des mots. Pour ceux dont on le devine plus proche, les siens sont apaisants ou modérés, et se font bien plus sévères ou virulents pour ceux réservés à ses contradicteurs. Il s’éloigne alors de la supposée objectivité du journaliste qui s’en tiendrait aux faits, pour décrire « sa » vision du réel. On ne lui en fait d’ailleurs pas le procès. Étant acteur, il verra plus facilement des « trolls » (twittos qui viennent pourrir le débat, souvent anonymes) chez ceux dont les positions lui déplaisent. Juste deux exemples, pour ne pas parler dans le vide ?

Dans le « clash des générations » qu’il voit se développer, et on y reviendra, il décrit d’un côté des « détracteurs » qui « se lamentent » (en gros, des pleurnicheurs), et de l’autre « des foules d’internautes plus jeunes » : plus nombreux, plus dans l’air du temps. On serait aisément plus neutre dans le choix des mots...

De même, lorsqu’il aborde les questions ultrasensibles de la laïcité, de la liberté d’expression, du blasphème, est-il équitable d’opposer de façon si tranchée d’un côté le Printemps Républicain, qu’il résume à « un groupuscule » qui se positionne surtout « contre » ; et de l’autre le Bondy Blog, « une association » qui « veut former des jeunes de banlieues au journalisme » … Il ne précise pas davantage le positionnement engagé de ladite association, qui forme bien plus au militantisme woke qu’au journalisme…

[Ici, la transparence m’oblige à rappeler que je fus en 2016 signataire de l’appel à création du Printemps Républicain. Je n’en suis pas membre actif. Et j’écrivis mon premier article pour 7X7 sur son lancement. Mon amie Élise Thiebault, autre contributrice du site à l’époque, y avait opposé sa propre analyse très différente.]

Reste qu’au-delà de ces façons assez orientées de décrire certains thèmes récurrents prompts à déchainer passions et anathèmes, venant de partout et nulle part, l’auteur décrit bien ce qui est devenu la réalité de ce réseau. C’est qu’on ne manque pas de sujets clivants ! Citons en vrac, sans ordre particulier, et on en oubliera :

1) Le féminisme, le mouvement LGBT, leurs oppositions sur les questions des genres;

2) Les mouvements sociétaux qui en découlent #metoo, #balancetonporc ;

3) Les policiers, les violences qu’on leur prête, et celles qu’ils subissent ;

4) Le mouvement « Woke » et ses variantes ouvrant mille débats autour du/des racisme(s), du mouvement décolonial, de la « racialisation » et toutes les contestations qui viennent s’y greffer.

5) Les questions liées aux religions, aux radicalités, au terrorisme ; aux identités ,

6) Celles concernant les rapports plus que tendus entre laïques opposés ;

7) Tout ce qui touche de près ou de loin au climat, à l’écologie, aux urgences et à la transition écologique ;

8) Sans oublier toutes les composantes politiques du pays, depuis que leurs leaders (ou leurs community managers, le plus souvent) y tiennent chronique et y relaient leurs prestations médiatiques sur les chaines d’info continue.

Viendront ensuite tous les faits d’actualité liés à tous ces sujets, puis les commentaires sur les commentaires… Et assez vite, les insultes. Ajoutons-y les inimités récurrentes devenues haines, avec ou sans menace de poursuivre les échanges au Tribunal. Ce qui vaudrait toujours mieux qu’au coin d’une rue vide ou sombre, comme on le verra.

Ainsi ce web qui devait devenir une moderne « agora », version digitale de l’antique cité grecque, n’est qu’un permanent capharnaüm décourageant. La violence verbale y est devenue la règle. Et quand les propos demeurent courtois, ils ont comme on l’a vu une réelle propension à s’exprimer sur un mode de dénigrement plus ou moins affirmé.

L’usage du mot « monstre » me semble légitime. Mais ce sont bien les contributeurs qui en font ce qu’il est devenu.

5 Twitter : Version post-moderne de combats éternels

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On l’a dit, Samuel Laurent place au cœur de sa propre vision du réseau social « le clash des générations ». Et nul doute qu’on peut le suivre sur ce point. Un peu moins, peut-être, lorsqu’il laisse entendre que la dérive aurait commencé lorsque « les boomers » s’y seraient installés en masse, avec leurs médias ou personnages supposés de prédilection (comprenez de droite, ou pire : Zemmour et Valeurs Actuelles s’y sont installés !).

L’entre-soi entre Millenials et assimilés (Génération Y, ou Z) des débuts était-il plus convivial ? Peut-être, même en mode « Ligue du LOL », quand un « petit monde très masculin », « discutait, s’amusait, débattait », souvent au détriment d’autres « communautés, féministes, blogueuses, blogueuses mode ». Ce qui leur vaudrait plus tard un sérieux retour de bâton (en français 2.0 : « backlash »), dans le sillage de #metoo et #balancetonporc ; certains ayant si l’on a bien compris (en tant que « boomer », je n’étais pas du nombre) franchi les barrières entre virtuel et réel, en mode « harcèlement », Moral ou sexuel. « Ou les deux », comme on dit chez Alain Chabat à l’heure du Burger Quizz.

Ces phénomènes existent bien sur Twitter. Mais ils sont à dire vrai des exacerbations, d’oppositions anciennes, éventuellement séculaires, simplement actualisées dans l’air du temps numérique. Ainsi le déjà cité « clash des générations » entre « boomers » et « Millénials » n’est-il probablement qu’un revival de l’ancien « conflit des générations » des seventies, entre « jeunes » et ceux qu’on nommait alors les « croulants », les uns comme les autres taquinés par Brassens sur ce « Boulevard du temps qui passe », (mais il avait aussi rappelé que « le temps ne fait rien à l’affaire, quand on est con, on est con »). Tout cela pourrait aussi rappeler l’ancienne querelle littéraire « des anciens et modernes ». Et on remonterait ainsi jusqu’à Platon, qui fustigeait dit-on la paresse intellectuelle des jeunes de son temps.

De même, les travers misogynes des Ligueux du LOL n’ont-ils rien inventé, toute défenseur des luttes contre le patriarcat nous le confirmera. De même, racistes, antiracistes militants, et non-racistes simplement non impliqués, n’avaient pas attendu Twitter pour exprimer le fond de leurs positionnements, aux zincs des bistros, dans les diners de famille ou d’amis, dans la rue parfois pour le meilleur ou le pire. On multiplierait ainsi les exemples : « Quid Novi sub Sole ? Nihil ».

Ce qui est nouveau, en revanche, ou plutôt « inédit » est probablement à rechercher du côté des sciences de la communication telles qu’on les enseigna à Palo Alto. Paul Watzlawick martelait qu’avant même de s’intéresser à ce qui se communique, il faut comprendre le ou les contextes où cela se dit : « hic et nunc ». Ici, et maintenant.

« Ici » : sur Twitter, effectivement, cette agora capharnaüm. Importée d’Amérique, régentée par elle au plan juridique.

Et « Maintenant », c’est-à-dire dans ce monde devenu « pluri-culturel », mondialisé, depuis bientôt 50 ans vivant selon les codes d’abord suggérés, puis peu à peu imposés, à présent totalement intégrés, du modèle sociétal américain dominant.

Le modèle est multiracial dans sa composition, inégalitaire dans son fonctionnement, libéral dans ses ambitions économiques, très influencé aux plans de l’idéologie dominante à la fois par le religieux, par un autoritarisme fort aux deux bouts du spectre (suprémacisme d’un côté, marxisme « déconstruit » et reformaté, de l’autre), et estampillé politiquement correct » au plan de l’expression, dans le prolongement du puritanisme ancestral américain.

Qu’on le veuille ou non, ce qui a changé dans l’expression des anciens antagonismes dans notre pays, depuis disons Mai 68 et l’expression de la « contestation », c’est l’américanisation de notre modèle de référence… Modèle devenu lui-même plus multiculturel à partir du décret du 29 avril 1976, signé par le Premier ministre, Jacques Chirac, autorisant les regroupements familiaux des travailleurs immigrés. Transformation conduisant vite à poser en des termes nouveaux les questions « d’intégration », « assimilation », coexistence de « communautés », décrites et/ou vécues selon les cas comme « voisines », « différentes », conciliables, réconciliables, ou non.

Avec la fin du « rêve communiste », on a vu l’effacement progressif du concept de « lutte des classes », supplanté par des « luttes de races » et « luttes de places » (mixités, diversités, parités). On a également constaté l’importation des conflits du Moyen-Orient (Palestine versus Israël, au premier chef) et leur incidence sur les relations entre les « communautés » concernées ou supposées l’être.

Twitter à cet égard est un des théâtres ou s’expriment et s’exacerbent les antagonismes des temps présents, qu’encouragent aussi ses modalités de fonctionnement, y compris au plan du droit. Une des vraies turpitudes de Twitter, qui résumerait toutes les autres, est baptisée par Samuel Laurent la « tyrannie du jugement moral ». C’est une réalité. Encore chacun peut-il s’en arranger comme il veut.

Certains parlent volontiers de diktats du « politiquement correct », qui s’observent dans la vraie vie comme sur le réseau. Mais d’autres contestent cette réalité, fustigent cette expression, qu’ils relient à une vision « réac » du monde. Voire pire : « fasciste ». Ce qui est rarement un compliment.

6 Twitter : La question centrale de l’anonymat

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Spécialiste pour son journal des questions de diffusion de l’info et de l’intox, Samuel Laurent développe en expert tout ce qu’on entend sur les effets néfastes du réseau tels que manipulés par des individus, des groupes (ou « groupuscules », « armées de trolls », comme on voudra), voire des institutions (agences spécialisées, officines douteuses, voire pays mal intentionnés).

Diffusion de fausses nouvelles, exacerbations de faits au départ « anecdotiques » dont naissent de vraies polémiques, bientôt supplantées par d’autres. Insultes, menaces, violences verbales. Salissures de réputation. Toutes ces agressions sont évidemment rendues possibles par l’usage des pseudonymes, la capacité de créer autant de comptes que l’on veut. L’anonymat est une des armes de cette guérilla des mots.

Faut-il ou non remettre en cause ce droit à l’anonymat ? Faut-il faciliter la diffusion des adresses « IP » des agresseurs, faciliter les complaintes, exiger plus de réactivité du réseau ? Il y a là une question aussi centrale qu’épineuse. Elle touche au fondement même du Web 2.0, aux limites qu’on peut (ou devrait ?) imposer ou non à la liberté d’expression. Elle pose aussi la question de la définition même de cette liberté d’expression en mode mondialisé, quand le « freedom of speech », à l’américaine se confronte aux lois nationales en vigueur, et aussi à la tyrannie morale qu’on s’autorise à affirmer au nom de ce que le regretté Philippe Muray appelait « L’Empire du Bien ».

7 Twitter : Loupe grossissante et déformante ou pas ?

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On le sait en communication : déformer, amplifier, généraliser, sont trois excellents moyens de transformer un désaccord ponctuel en conflit, voire en crise. À tester dans son couple, pour voir comme on peut faire de trois fois rien une scène de ménage.

Il en va de même sur le réseau. On se croit revenu aux sectes gauchistes des années 70, où toute l’énergie se dépensait à disqualifier ceux de la secte voisine. Lénine avait qualifié le gauchisme de « maladie infantile du communisme ». Twitter est peut-être la maladie infantile de l’ère numérique. Prenez un tweet, déformez-le pour lui faire dire autre chose que ce qu’il prétendait. Amplifiez-le, pour lui imputer des conséquences non imaginées au départ par l’auteur. Généralisez-le, pour le rendre inacceptable en le plaquant sur des sujets n’ayant rien à voir.

Il se cultive sur Twitter une plante vénéneuse que j’appelle, avec d’autres, le « confusionnisme ». Tout mélanger, tout confondre, diffuser avec application et insistance des comparaisons injustes, ineptes, insanes ; la méthode a ses spécialistes, qui dramatisent les échanges et les hystérisent. On  caricature tout propos divergeant de sa propre position, de préférence en l’extrêmisant.

On ne compte plus les personnes assimilées à l’infréquentable « fachosphère » pour avoir tenu un propos vaguement conservateur ou réactionnaire. Sans qu’on sache d’ailleurs dire qui sont les membres de la sphère en question, quelles sont ses frontières, qui en est un suppôt, inconscient ou non. On peut considérer « islamo-gauchiste » comme symétrique.

D’un côté les Woke, essentialistes, de l’autre les blancs, les boomers, les universalistes. A côtés des racistes systémiques, les « nègre de maison », « arabe de service », sont volontiers désignés.

Sexiste, macho, patriarcal, viennent assez vite après tout propos sur l’égalité F/H, surtout venant d’un ou une « cis » (ceux qui ne sont pas trans). Et plus vite encore si le « cis » est aussi « het » (Hétéro). Si l’on ose aborder l’épineux problème « des personnes qui ont (au choix) un pénis, leurs règles, une vulve », mais ne seraient pas pour autant à considérer comme des hommes ou des femmes, J’avoue une fascination étonnée pour l’expression « féministe TERF » et la suspicion de transphobie généralisée, y compris chez l’immense majorité des personnes qui de leur vie n’ont jamais croisé « une personne en transition de genre ».

Allez donc ensuite, comme le fait Jean Birnbaum, suggérer l’éloge du « courage de la nuance » !

Oui, la loupe qu’offre Twitter est déformante. Chacun s’y voit ramené à sa caricature. Heureusement, disent certains de ceux qui ont pris leurs distances, « Twitter n’est pas la vraie vie ». Le débat n’y est pas autant hystérisé, affirment-ils, rassurants. Soit, mais le danger rôde néanmoins, dès lors que nombre de médias, y puisant leur inspiration, en légitiment les excès.

Et puis, qu’en eut dit Monsieur Samuel Paty ? C’est sur Twitter que s’alluma l’étincelle qui mit le feu à la démence de l’homme qui l’assassina. Qu’en dira la jeune Mila, menacée de mort et contrainte de vivre cachée, sous protection policière ?

Il n’est pas certain que Twitter tue la #démocratie. Il est en revanche assez clair qu’il en est devenu un agent polluant. À cet égard, 2022 pourrait constituer un effrayant millésime.

8 Twitter : J’ai vu naître le monstre

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Editions les arenes

Nous remercions les éditions Les Arènes d’avoir répondu à notre demande et de nous avoir adressé le livre J'ai vu naître le monstre de Samuel Laurent (230 pages, 19 euros).

Samuel Laurent a débuté sa carrière comme journaliste web au Figaro.fr avant de diriger le service des « Décodeurs » sur lemonde.fr. Il quitte la vérification factuelle en 2019 pour rejoindre le pôle Enquêtes du Monde.

Nous avons pu exprimer quelques réserves sur certaines présentations des faits. L’ouvrage n’en demeure pas moins extrêmement documenté, sa description des faits et de leurs enchaînements, digne d’être lue pour déceler ce que Twitter peut (hélas) devenir…

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